Transcription - Episode 15

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Aymeric Guillot - Comment notre cerveau peut-il nous aider à devenir plus performant ? - #15

Caroline : Écoutez Aymeric, merci beaucoup ! En ce lundi de Pâques, c’est trop sympa d’avoir pris ce temps. Si ça te va, on va lancer l’enregistrement et j’aimerais que tu commences par te présenter.

Aymeric : Bonjour Caroline, merci pour l’invitation ! Donc Aymeric Guillot, je suis professeur à l’université Claude Bernard Lyon, l’université de Lyon, et ça fait une petite vingtaine d’années que je consacre mon quotidien à l’enseignement, à la recherche et en particulier à l’étude de la neurophysiologie, des processus mentaux et plus spécifiquement, dans les processus mentaux, l’étude de l’imagerie mentale ou l’imagerie motrice. Et l’objectif de manière un petit peu transversale, c’était d’essayer de mieux comprendre ce que c’est que de simuler mentalement un mouvement dans sa tête et de voir l’effet que ça avait sur à la fois l’apprentissage et l’amélioration des performances au sens très large du terme, avec à travers différents publics et puis pour le recouvrement des fonctions motrices en cas de blessure ou d’incapacité motrice. Et là encore le type de patient. Et l’idée, c’est du coup à la fois de mieux comprendre ce qui se passe, donc d’étudier les processus qui sont mis en jeu dans le cerveau, dans les fondements, d’une certaine manière, neurophysiologiques de ce travail. Et puis, d’un point de vue un peu plus appliqué, essayer de déterminer les meilleures conditions de pratique, les consignes optimales et les manières idéales de travailler pour vraiment faire en sorte que les différents publics puissent s’approprier le travail et en avoir des bénéfices sur le l’exercice de leurs fonctions ou sur la vie quotidienne, sur le développement personnel, sur le bienêtre. Bref, que ça puisse à un moment donné amener quelque chose et leur permettre de se sentir mieux ou de performer davantage.

Caroline : OK. Donc, tu as vraiment, tu t’es intéressé à notre cerveau et comment ça peut nous aider au quotidien, nous rendre plus performants ?

Aymeric : Oui, les liaisons corps, esprit. Essayer de comprendre comment le système nerveux, le cerveau, peut permettre de renforcer un apprentissage, de faciliter la modification d’un apprentissage, de faire en sorte de se sentir un petit peu mieux, de développer ses capacités, d’optimiser ses capacités. Donc c’est vraiment dans ces liaisons corps-esprit et dans une visée d’applications pratiques. Puisque ce qui m’intéresse, ce n’est pas seulement de comprendre, c’est vraiment de faire en sorte qu’on puisse trouver des outils, non pas des recettes, parce que ce n’est pas aussi simple, mais des outils que les personnes puissent s’approprier, puissent apprivoiser pour vraiment les mettre au service du bienêtre du quotidien et de la performance. Donc c’est à la fois un aspect un peu transversal de compréhension des processus et des mécanismes qui sont sous-jacents, et en même temps de l’utilisation au quotidien vraiment de ces outils, de ces pratiques.

Caroline : parfait. Est-ce que ça te va si jamais on aborde cet enregistrement avec ces deux grands thèmes ? Petit un, compréhension et petit deux, outils et mis en pratique. Que tu nous expliques dans un premier temps comment vraiment ça fonctionne. Qu’est-ce que tu as pu voir avec les recherches que vous avez faites ? Je sais que vous avez fait de la recherche fondamentale et de la recherche appliquée. Voilà, un petit peu comprendre comment ça fonctionne et ensuite que tu me donnes des outils parce que c’est un truc que moi j’aime partager avec les auditeurs, et les choses notamment qu’on peut implémenter dans notre quotidien.

Aymeric : Écoutez, c’est super, allons-y comme ça. Déjà, ce qu’il faut comprendre, c’est que la simulation motrice ou l’imagerie motrice, l’imagerie mentale de manière plus générale, parce que ça ne porte pas forcément sur un mouvement, ça peut porter sur une situation, une personne, un objet, la faculté qu’on a d’imaginer quelque chose, c’est assez étonnant, c’est assez déstabilisant et c’est assez puissant d’une manière générale.

Caroline : Est-ce que je peux juste t’interrompre pour que tu me définisses l’imagerie mentale, juste que ce soit bien clair pour tout le monde.

Aymeric : Oui. L’imagerie mentale c’est la représentation mentale d’une situation, d’une personne, d’un objet ou d’un mouvement quand on parle de l’imagerie motrice, sans que ça débouche sur l’exécution réelle. Donc, dans le cas d’un mouvement, ça ne débouche pas sur l’exécution du comportement ; il y a une mission motrice, qui fait ou… facilitation incomplète de la commande motrice qui fait qu’on n’a pas l’activité musculaire qui nous amène à effectuer ce mouvement-là, et dans le cadre d’une imagerie mentale, d’un objet par exemple, ou d’une personne, d’une situation, d’un événement, c’est le rappel sensoriel ou la projection sensorielle, indépendamment de la stimulation, c’est-à-dire qu’on est capable de construire une image mentale, de construire, ré-évoquer une sensation qui est liée à une situation sans pour autant qu’on ait la stimulation, c’est-à-dire sans pour autant qu’on soit dans cette situation-là où qu’elle soit même relativement récente. Et finalement, c’est quelque chose d’assez simple qu’on fait tous au quotidien, absolument tous pour plein de raisons différentes. Donc, dès qu’on va ré-évoquer mentalement quelque chose, on va faire une forme d’imagerie ; quand je dis imagerie, on aura sûrement l’occasion d’y revenir, je ne parle pas forcément d’images, d’ailleurs, ce n’est pas seulement sur le sens visuel, c’est quelque chose qui va être multimodale et qui va intégrer tous les sens. Mais lorsqu’on ré-évoque quelque chose, finalement, on fait une forme de représentation mentale, donc d’imagerie mentale, de cet élément, de cet objet ou de cette situation-là. Et ça on fait tous au quotidien à de multiples reprises soit parce que dans une discussion, on est amené à ramener des événements et à discuter d’une situation qu’on a vécue, qu’on veut faire partager, c’est une forme d’imagerie, d’une certaine manière, soit parce qu’on a besoin de sans arrêt, d’utiliser les éléments du passé pour actualiser notre présent pour prévoir des choses. Et donc on fait ces ré-évocations de manière extrêmement nombreuse et multiple au quotidien.

Caroline : Est-ce que tu fais une différence avec la visualisation ?

Aymeric : En fait, la visualisation, c’est plutôt une traduction sémantique un petit peu plus simpliste, de ce qu’est l’imagerie. Pourquoi je dis simpliste ? Parce que la visualisation va renforcer encore cette connotation au sens visuel, et donc à la dépendance de l’image. Alors c’est vrai que l’image… enfin la vision, c’est la reine des sens, on est bombardé d’informations visuelles, on a du mal à penser sans image, c’est quelque chose qui… c’est actuellement impossible. Et donc du coup, quand on parle de visualisation, on renforce encore ce caractère, je vais créer des images, je vais former des images et je vais laisser ces images-là défiler devant mon écran mental, je vais fermer les yeux puis le film va défiler devant mes yeux. Donc du coup, on renforce encore un petit peu ce caractère-là. Après, si on l’utilise de manière un petit peu plus vulgarisée, visualisation et imagerie mentale, ça peut devenir synonyme. C’est-à-dire qu’on pourra parler de visualisation et pour autant, à l’intérieur, intégrer les différents sens comme être capable de ré-évoquer les sons qui sont associés à la situation, de ré-évoquer les sens, les sensations, les émotions, tous les éléments finalement qui caractérisent la scène ou la situation, on pourra quand même les inclure dans ce qu’on va appeler la visualisation. Donc il n’y a pas une vraie différence de fond. Il y a une différence plutôt sémantique, et peut-être de messages par rapport au public à qui va être destiné le message pour qu’ils le comprennent véritablement bien et qu’ils puissent aller chercher des éléments importants. Je vais parler sur la ré-évocation, mais quand on fait une projection sur quelque chose, c’est le cas aussi, on fait une forme d’imagerie, visualisation de ce qui va se passer ou de ce qu’on aimerait qu’il se passe quand on va se projeter sur un événement qu’on est amené à vivre, qu’on aspire à vivre sur un entretien, sur un échange, sur un événement, sur une compétition pour les sportifs, sur une représentation pour les artistes par exemple, on va être sur une projection mentale qui va se traduire par des images, des sensations, une sorte de maîtrise par avance de ce qu’on va vivre ou de ce qu’on espère vivre. Et ça, c’est une forme d’imagerie ou de visualisation également. Peut-être encore un peu plus générale, on pourra faire un amalgame ou étendre une sorte de continuum entre le travail par visualisation par imagerie et puis l’observation, qui sont deux phénomènes différents, puisqu’il y en a un où on utilise des données extérieures qui nous alimentent pour construire une connaissance, et dans l’autre, on va chercher des informations qu’on crée et qu’on évoque, qu’on construit pour justement manipuler cette connaissance. Mais pour autant, dès qu’on va regarder quelque chose, on va amorcer une forme de visualisation ou de représentation mentale. J’observe quelque chose, que ce soit de manière passive ou active, lorsque je vais vouloir observer pour reconnaître, observer pour apprécier, tout simplement observer pour imiter, observer pour juger, on va pouvoir trouver pleins d’objectifs, mais à chaque fois, ce travail-là va d’une certaine manière amorcer une forme de représentation mentale plus ou moins contrôlée. Et aujourd’hui d’ailleurs, l’idée c’est de combiner véritablement et explicitement ces deux formes de travail là, observer et en même temps faire l’effort d’imaginer, quelque chose de totalement cohérent, quelque chose de partiellement convenant avec ce qu’on observe. Donc finalement, même dans la vie au quotidien, dès qu’on va utiliser l’observation, quel que soit l’objectif et le contenu de cette observation-là, on va aussi activer d’une certaine manière, ou amorcer, je préfère le dire comme ça, une forme de représentation mentale, donc de visualisation. Tout ça pour dire que finalement, c’est quelque chose qui est assez simple, que tout le monde fait absolument fréquemment au quotidien, et qui reste pour autant quelque chose qui, lorsqu’on va la mettre au service d’une performance au service d’un développement personnel ou d’un bien être, ça va être un petit peu plus complexe que ça parce qu’il va falloir en maîtriser les tenants et les aboutissants, donc trouver finalement le bon dosage, la bonne manière de travailler, les bonnes consignes, le bon environnement, le bon contenu. Donc ce n’est pas aussi hasardeux que ça, ce n’est pas aussi simple que ça d’imaginer quelque chose et d’en tirer des bénéfices. Il faut contrôler correctement, et souvent, j’aime bien souligner l’importance, alors c’est variable en fonction des objectifs, mais on va faire une différence entre l’imagerie ou la visualisation et l’imaginaire. Autant l’imaginaire peut être intéressant, autant dans d’autres cas de figure, l’imaginaire il va être totalement interdit, et l’imagerie devra vraiment être différente de l’imaginaire, dans le sens où on n’aura pas le droit à une seule approximation, on n’aura pas le droit de se permettre de manipuler et de modifier à sa convenance le contenu des représentations mentales, on devra calquer à la réalité. Donc ça va varier en fonction des objectifs. Mais, de manière un petit peu générale, il ne faut pas confondre l’imagerie et l’imaginaire.

Caroline : Et est-ce que, peut-être, ça explique pourquoi ça fonctionne et pourquoi ça ne fonctionne pas ? Et donc ce serait intéressant vraiment de rentrer pourquoi et comment ça fonctionne ?

Aymeric : Oui, tout à fait. Et pour prendre juste un exemple avant de comprendre ce qui se passe, c’est que, si je prends l’exemple des sportifs qui est un domaine que j’ai beaucoup étudié, quand on travaille par exemple sur la confiance en soi, sur la motivation, la gestion des émotions, de l’anxiété, à l’approche d’une compétition, on peut se projeter sur quelque chose qu’on n’a pas forcément encore vécu. Donc on fait une forme d’imaginaire d’une certaine manière. Par contre, quand on va travailler sur la technique gestuelle dans le but vraiment de parfaire le mouvement, d’en corriger quelques ajustements, de renforcer ou d’automatiser ce mouvement-là, on n’a pas le droit à l’approximation, parce que si on bascule dans l’imaginaire ou dans le mouvement très approximatif, on a comme conséquence de potentiellement modifier le mouvement sans que ce soit l’objectif et sans s’en rendre compte ; et ça, ce sera au détriment de la qualité. Donc du coup, c’est que non seulement ça peut ne pas fonctionner dans certains cas de figure, mais c’est même pire, c’est que ça peut devenir quelque chose de contre-intuitif et induire même des contre-performances. Donc ça peut devenir délétère. Donc ça va vraiment dépendre en fait de ce qu’on veut faire et de comment on veut le faire. Après, ce qui est intéressant, c’est que… alors je vais décliner deux formes de travail parce que du coup, c’est deux objectifs vraiment différents ; quand on va viser quelque chose qui a un lien avec la performance, l’amélioration des savoir-faire, l’apprentissage ou la consolidation des apprentissages, on est vraiment dans ce cas de figure que j’évoquais juste précédemment, c’est-à-dire, on n’a pas le droit d’être approximatif. Il faut vraiment qu’on soit très très fidèle par rapport à la réalité. Et là, ce qui est intéressant, c’est qu’il y a une quantité d’études fondamentales et notamment toutes les études de neuro-imagerie, qui ont pu mettre en évidence ce qu’on appelle le principe d’équivalence fonctionnelle ou d’équivalence neuro-fonctionnelle, qui montre que lorsqu’on imagine un mouvement, on a des configurations d’activation cérébrale qui sont sensiblement équivalentes à celles qu’on a lorsqu’on exécute le mouvement. Alors je dis sensiblement équivalent parce que bien évidemment, il y a des différences en termes d’intensité ou en termes de réseaux qui vont être activées. Mais globalement, on a une activation du système nerveux qui est assez comparable, c’est-à-dire qu’on va solliciter les mêmes réseaux que ceux qui sont responsables de la préparation, de l’exécution et du contrôle du mouvement. C’est probablement pour cette raison-là qu’on entend parfois ce qui est faux fondamentalement, mais que le cerveau ne fait pas la différence entre imaginer et exécuter. Le cerveau fait tout à fait la différence puisque si je te demande d’imaginer un mouvement, tu sais très bien dès le moment où tu vas commencer, que tu ne vas pas l’effectuer ; consciemment tu sais que tu vas faire une différence entre ce que je te demande d’imaginer, de simuler, de reproduire, même de manière extrêmement précise, et puis ce que tu vas faire réellement. Mais si on schématise cette consigne-là, c’est certainement pour faire passer un petit peu ce message-là, c’est-à-dire qu’en fait, on va quand même solliciter les régions nerveuses qui sont très impliquées dans la préparation et l’exécution du mouvement. Et ça c’est intéressant, parce que c’est probablement pour cette raison-là que le fait de simuler mentalement, d’imaginer, va permettre de renforcer le schéma moteur, va permettre éventuellement de le moduler, de le façonner, de le modifier pour transformer le mouvement, donc ça va permettre non seulement de consolider ou de renforcer les apprentissages, puisque c’est pratiquement comme si on allait faire un essai supplémentaire, sauf que ça ne débouche pas sur le comportement, et en même temps c’est aussi un moyen de se conditionner pour facilement modifier le mouvement. On ne peut pas à la fois le renforcer et le transformer parce que justement on vient activer les mêmes régions. Et pourquoi c’est intéressant dans le cas d’une correction ? C’est que quand on apprend un mouvement, quand on automatise d’un point de vue moteur, un mécanistique, on fait en sorte que ce mouvement-là devienne assez imperméable aux perturbations externes ; c’est-à-dire qu’en fait, une fois qu’on l’a automatisé, c’est un savoir-faire qu’on crée, qui va se dérouler ou se déclencher tel qu’on l’a automatisé, et c’est très difficile à modifier ça, sinon ça voudrait dire qu’il n’est pas suffisamment robuste dès qu’on est dans une situation un peu délicate. Et le problème, c’est quand il y a une imperfection, on est obligé de déconstruire pour reconstruire, de désapprendre pour réapprendre, ça, c’est compliqué. Par contre, mentalement, c’est très simple, on peut se conditionner mentalement, à essayer de faciliter en quelque sorte cette correction de gestion. Donc ça, si tu veux scientifiquement, c’est probablement la raison principale. Alors il y a d’autres aspects, bien évidemment, qu’on pourrait souligner, mais c’est vraiment la raison principale qui fait que, lorsque je vais demander à un musicien, un sportif, un artiste, un chirurgien de simuler mentalement son mouvement, il va finalement pratiquement faire des essais supplémentaires et donc il va renforcer la circuiterie neuronale, l’autoroute neuronale, qui va lui permettre d’être très efficace et donc il va améliorer la performance.

Caroline : Et ça, vraiment, ça a été basé sur de la recherche, de l’analyse fondamentale, donc il y a eu… je ne sais pas comment ont été menées ces recherches, mais on a pu voir à l’imagerie l’activation de certaines zones de cerveau, où quand on avait un sportif peut être par exemple un musicien qui effectuait concrètement le mouvement, certaines zones qui s’activaient et à l’inverse quand il était seulement en train de la visualiser, de l’imaginer, à peu près les mêmes zones s’activer, c’est ça ?

Aymeric : Exactement, on a un chevauchement. Et ça va même plus loin que ça, c’est que, on a l’activation vraiment des régions dans le cortex moteur primaire notamment, qui sont dédiées au contrôle des muscles correspondants. Donc ce n’est pas simplement une activation globale d’une région motrice par exemple, c’est vraiment qu’on va réactiver les neurones qui sont responsables de la motricité, du contrôle de la région du corps correspondante. Donc si on demande d’imaginer deux mouvements de deux parties du corps différentes, ce n’est pas exactement le même endroit du cortex moteur qu’on va aller activer, c’est vraiment l’endroit qui est dédié normalement au contrôle de ce mouvement-là. Et pour aller même encore un petit peu plus loin, si on demande à une personne d’apprendre un mouvement, de répéter mentalement à plusieurs reprises sur un entraînement le mouvement là, donc de faire de la visualisation, ce qu’on appelle entraînement par visualisation, il va en fait mettre en place une forme de plasticité cérébrale, donc d’évolution des configurations de toutes ces activations-là, qui va être équivalente ou très proche de celle qu’il mettra en place lorsqu’il s’entraînera physiquement. Donc non seulement on a si tu veux une sorte de cartographie qui est à peu près équivalente au départ, mais on a une évolution de cette cartographie-là. On façonne le système nerveux de manière comparable, lorsqu’on apprend physiquement et qu’on apprend mentalement. Et ça, c’est quelque chose qui est assez bien établi, il y a beaucoup, beaucoup de recherches qui mettent en évidence ces aspects-là. Alors il y a bien sûr quelques différences également, et qui sont tout aussi intéressantes à étudier. Mais globalement, on a vraiment cette analogie-là, ou cette équivalence-là, non seulement dans les activations, à un moment donné, arrêtées, mais également dans cette plasticité cérébrale. C’est pour ça qu’on façonne ce qu’on appelle par la suite le cerveau expert, et qu’on va retrouver des principes qu’on a déjà identifiés dans la motricité notamment, mais pas que, ces principes d’efficience neurale, c’est-à-dire que plus on devient expert dans une tâche, plus on progresse, plus on est efficace, mais moins c’est coûteux collectivement, donc on va simplifier, on va diminuer les activations des étages supérieurs du système nerveux central, et on va redescendre d’un niveau, à un contrôle qui est plutôt sous-cortical, donc c’est moins coûteux et pour autant on est plus efficace. Ça, c’est vraiment une caractéristique d’un expert. Et ce qui est intéressant, c’est qu’en imagerie, on observe exactement la même chose.

Caroline : Et on peut devenir expert avec de l’imagerie mentale ?

Aymeric : Alors…

Caroline :… ou il faut quand même pratiquer ?

Aymeric : Oui et non ; c’est-à-dire que les données là sont assez bien établies également, c’est que si on ne s’entraînait que mentalement, on va progresser dans une tâche, c’est assez acté, c’est relativement bien établi dans pratiquement tous types de situations. Par contre, on progressera parfois de manière équivalente, mais généralement toujours un peu moins que si on s’entraînait physiquement dans une tâche ou même dans une tâche de la vie quotidienne et qu’on répétait cette tâche-là. Donc du coup, c’est intéressant, mais faire que du travail mental, ça n’a pas beaucoup d’intérêt en soi, ça n’a pas beaucoup de sens, sauf quand on va être blessé ou quand on va être en surentraînement par exemple, dans un cas de figure, on ne peut pas du tout s’entraîner. Je pense à des pilotes qui n’ont pas forcément accès ou à des conditions météorologiques qui ne permettent pas. Donc là, ça peut être intéressant de compenser. Mais en dehors de ces cas-là, le meilleur compromis, c’est vraiment la combinaison, c’est-à-dire je suis plutôt dans une approche où le travail mental, ça devient un complément et pas un substitut, pour vraiment faire en sorte que cette combinaison et cette proximité entre travail physique et travail mental, soit le meilleur dosage possible. Évidemment après on peut questionner le dosage, on peut questionner le moment d’intervention, les consignes, mais c’est vraiment cette combinaison-là qui est la plus intéressante.

Caroline : OK. Et donc ça, c’est la première forme de travail ?

Aymeric : Voilà, ça c’est la première forme de travail. Donc là c’est qu’on n’a pas le droit à l’imaginaire, on est vraiment dans quelque chose de très établi parce que, ce qu’on veut, c’est améliorer une performance bien précise et faire en sorte que cette performance-là soit la plus efficace.

Caroline : Et juste, je te coupe ; la performance et améliorer la compétence qu’on a envie, ça peut être vraiment, peu importe, la compétence, je veux dire ça peut être aussi bien le mouvement sportif que peut être une activité plus intellectuelle, ou même j’ai envie de dire, j’ai envie de performer mon découpage de carottes, je m’imagine en train de couper mes trucs comme un chef et je vais me rendre compte que ça va marcher un petit peu mieux la prochaine fois, potentiellement.

Aymeric : Alors, complètement sur le découpage de carottes, tu peux y aller allègrement. Oui, en fait dès qu’on va être sur la performance et notamment sur ce qui va impliquer une forme de de contrôle moteur, donc c’est, j’ai pris l’exemple d’un mouvement sportif, on peut prendre les artistes ou les musiciens qui sont de très très bons imageurs qui utilisent énormément cet aspect-là, mais ça peut être effectivement, les chirurgiens l’utilisent également, on le voit dans l’apprentissage du geste chirurgical, mais ça fait dans la vie quotidienne, quelle que soit en fait la motricité, et quel que soit le support et l’objectif de cette motricité-là, dès qu’on va être amené en fait à maîtriser quelque chose, le travail mental peut être un outil vraiment complémentaire hyper intéressant à moindre coût, et un très bon complément. Par contre, sur ton exemple des performances plus intellectuelles, on va basculer plutôt sur le deuxième justement.

Caroline : OK, super.

Aymeric : Alors si on aurait la mémorisation, même l’automatisation qui serait un petit peu entre les deux, mais, de manière générale, si je sors de la motricité en tant que telle, mais si je travaille plus sur l’individu, sur la personne, là, je vais faire en sorte d’avoir un effet qui est indirect sur une forme de performance, quelle qu’elle soit finalement. Mais si je prends le développement personnel ou si je prends le bien être, si je prends la gestion des émotions, que ce soit pour un sportif avant une compétition, que ce soit pour quelqu’un dans un entretien d’embauche, que ce soit pour une prise de parole en public ou que ce soit tout simplement pour une vie personnelle au quotidien, si je travaille sur l’individu, là, je vais avoir une forme de travail qui est complètement différente ; c’est-à-dire qu’on ne va plus parler vraiment de schémas moteurs, parce que ça se prête à plein de situations différentes, on va plus parler d’état d’esprit, de préparation et de conditionnement de la personne. Donc l’objectif, ça va être de faire en sorte qu’elle soit la plus à même possible d’être efficace donc, dans les meilleures dispositions possibles, que ce soit émotionnel, que ce soit affectif, que ce soit en termes de confiance, de la motivation ou de gestion de l’anxiété. Et là, l’idée, ça va être vraiment de travailler sur la personne. Alors ce qui n’était pas vrai dans le premier exemple que je prenais tout à l’heure, le devient ici. Là, c’est beaucoup plus… ça peut être intéressant, ce n’est pas plus intéressant, mais ça peut être intéressant de basculer dans l’imaginaire. C’est quelque chose qu’on va pouvoir projeter, refaçonner, reconstruire, on va pouvoir moduler les scénarios ou les scénarii de ce qu’on veut vivre à sa convenance, on va pouvoir transformer, faire des arrêts sur image, on va se défaire finalement du côté très attaché à la pratique et très juste de la fidélité par rapport à la réalité des choses. Là, on a le droit à avoir quelque chose de beaucoup plus malléable. Et on va d’ailleurs pouvoir combiner ça dans ces approches avec toutes les autres formes de préparation mentale ou de développement personnel qui sont, pour certaines d’entre elles très connues. Donc je pense aux différentes formes de relaxation, ça peut être de la PNL, ça peut être de l’hypnose, ça peut être des approches un peu plus émotionnelles, enfin voilà. Là on peut vraiment combiner tout ça à sa guise, à sa convenance. Et là, en fait on va travailler sur la personne. Donc il y aura un peu moins de règles de pratique, parce qu’il y aura moins de risques en quelque sorte. Moi, j’aime bien souligner que l’une des principales règles, c’est le caractère positif du travail et de la situation ; positif au sens très large, c’est-à-dire que soit on reste donc dans la visualisation, l’imagerie, la projection mentale de choses positives, qu’on rappelle parce qu’on les a vécues ou qu’on projette parce qu’elles ont, on aspire à les vivre, soit on peut envisager, c’est le cas de pas mal de situations, des cas de figure où la personne envisage des difficultés ou des parties de scénarii catastrophe, mais trouve les alternatives qui vont avec ; c’est-à-dire que si elle reste dans la difficulté, là c’est un peu le grain de sable qu’on met dans la machine qui enraye le processus et qui fait qu’elle risque de tergiverser, de cogiter et de faire un blocage et d’être dans la contre-performance, donc d’aller exactement à l’inverse de ce qu’elle recherche ; mais si par contre elle trouve une solution… enfin il y a une difficulté et qu’elle trouve une solution alternative pour compenser ou pallier ou surmonter cette difficulté-là, là l’ensemble du travail il reste positif, donc du coup, là on a vraiment plein d’entrées possibles et cette fois-ci on va travailler de manière beaucoup plus personnelle, beaucoup plus individualisée et beaucoup plus malléable. Et là on va se rapprocher, si on regarde ce qui se passe d’un point de vue, peut être neuronale, pour essayer de comprendre…

Caroline : C’est ce que j’allais te demander.

Aymeric :… on va se rapprocher davantage d’éléments qu’on a pu identifier en hypnose dans les approches de ce type-là ; c’est-à-dire qu’on va créer, non pas un schéma type dont on cherche à se rapprocher, qui est la mélodie qui est jouée par le sportif de haut niveau et on cherche un peu à reproduire finalement, cette configuration-là, là, ça va être quelque chose de beaucoup plus individuel, donc beaucoup moins systématique. Mais on va avoir peut être le désengagement de certaines régions qui sont plutôt activées dans le comportement des situations stressantes, enfin voilà, dans les émotions qui sont… qu’on a du mal parfois à maîtriser ou à gérer, donc on va désengager certaines régions, on va réengager peut-être d’autres circuits, d’autres connexions plutôt que régions, qui vont faire en sorte que finalement on va développer un état de bien être, un état d’apaisement, un état de relative sérénité et confiance et que ça, ça va nous mettre dans les meilleures dispositions possibles pour être performant par la suite.

Caroline : Est-ce que même si on ne connaît pas, par exemple, je ne sais pas, je prends une situation que j’imagine et mon cerveau n’a pas ou je ne sais pas, ne sait pas utiliser ces connexions ? Je ne sais pas exactement comment ça fonctionne, mais ça m’intéresse vraiment qu’on entre un petit peu là-dedans, il n’a pas ces connexions, il va réussir à les faire quand même ? Ou il faut qu’il ait vécu une fois cette situation qu’il l’a un petit peu en mémoire, et comme un disque dur tu vois, tu vas faire appel à ça, et lui, il va savoir aller chercher à cet endroit-là pour se dire « OK. Oui, c’est vrai, ça, je l’ai déjà vécu. Donc il faut que je réactive cette connexion. » ?

Aymeric : Alors, il y a les deux cas de figure ; c’est-à-dire que le cas de figure où tu as déjà vécu quelque chose d’inconfortable, qui réveille finalement un mal être ou quelque chose qui génère de l’anxiété ou du stress, là c’est quelque part une manière de fonctionner qui a pour objectif de penser entre guillemets, avec cet élément-là, c’est-à-dire d’essayer d’éteindre les voies affectives qui sont négatives et de mettre en place quelque chose de beaucoup plus agréable, beaucoup plus positif, qui viendrait le recouvrir ou par-dessus pour permettre finalement d’aborder la situation sans réveiller cet élément traumatisant, sans aller jusqu’à ce terme-là, et faire en sorte que finalement tu sois dans les meilleures dispositions possibles pour être efficace. Si maintenant il n’y a pas quelque chose qui t’a partiellement, enfin, spécifiquement vécu, ou qui a généré une sorte d’événement traumatique ou de situation d’inconfort ou de contre-performance par exemple, ça peut être juste un stress de situation ou l’anxiété d’être confronté à une situation, mais sans que tu puisses caractériser vraiment le mal en question, c’est plus la peur de mal faire, la peur de l’échec, c’est plus la peur de ne pas être à la hauteur, de passer à côté, et cetera. En fait, tu vas faire en sorte de, non pas d’éliminer ou d’éteindre certaines régions où certaines connexions qui réveilleraient chez toi des sentiments de mal être, tu vas plutôt faire en sorte de te mettre dans un terrain le plus propice, le plus positif possible, donc suractivé la libération d’hormones qui sont liées à des émotions plutôt considérées ou qualifiées comme étant plaisantes ou positives. Et puis tu vas faire en sorte vraiment d’installer un sentiment de conscientisation, de confiance en soi, dans tes chances d’être performant, de surmonter la situation, de trouver des ressources, de mettre en place les attitudes et les ressources qui sont adaptées. Et donc finalement, tu vas te conditionner, moi j’aime beaucoup ce terme-là, te conditionner à être dans les meilleures dispositions possibles pour être performant.

Caroline : Ça, je l’entends complètement.

Aymeric : Tu prépares en fait. Et c’est pour ça, tu n’as pas besoin de connaître les connexions. Le cerveau n’a besoin d’avoir connu ces connexions-là ou créer ces connexions-là ; en quelque sorte, il va éteindre certaines situations qui, dans certaines régions qui chez toi génèrent du mal être, et suractiver d’autres régions qui vont mettre dans les meilleures dispositions.

Caroline : OK parce qu’en fait, tu vois quand tu dis, se mettre en situation, et cetera, enfin, ça c’est vraiment des choses que je comprends et qu’on entend beaucoup. Mais ce qui vraiment m’intéresse, j’aimerais vraiment qu’on rentre encore un tout petit peu dans… qu’est-ce qui se passe vraiment là-haut tu vois, pourquoi ça fonctionne, comment ça marche, pourquoi on arrive à tel résultat en fait ?

Aymeric : En fait, on arrive à créer des… c’est plutôt des connexions, c’est plutôt des réseaux plutôt que des régions en particulier.

Caroline : Si tu devais donner une image, peut-être qu’on puisse…

Aymeric : Oui, c’est un peu comme si tu avais une sorte de deux ou trois régions qui s’allumaient, qui d’un coup, créaient une sorte d’autoroute, qui faisait que cette autoroute là quand elle s’active, elle te permet d’être beaucoup plus confiant, beaucoup plus relaxé et beaucoup moins anxieux par rapport à la situation qui va se passer. Et à l’inverse, c’est un peu comme si quand tu te projettes dans une situation, tu avais une ou deux régions qui un peu réagissaient comme des systèmes d’alarme ou d’alerte et qui quand tu laisses place au stress, prennent le dessus un petit peu sur tout le reste et on voit des signaux d’alarme, des signaux d’alerte qui font que tu n’arrives pas à t’en sortir et que du coup tu deviens alors soit bloqué, sidéré par l’enjeu, soit complètement inhibé, soit dans l’évitement, enfin, il y a des comportements qui du coup ne sont plus vraiment adaptés à la situation. Donc, d’un côté tu aurais une sorte de signal d’alerte qui suractive une région et un endroit dans le cerveau qui envoie des éléments un peu inhibiteurs ou qui vont poser problème par rapport à ce que tu veux mettre ; et puis de l’autre, tu aurais une sorte de gros réseaux, un peu diffus, qui recouvre tout ça, qui éteint cette région-là, un petit peu problématique, et qui au contraire fais en sorte qu’il y a une harmonie qui s’installe et qui te met dans un état beaucoup plus serein. La sérénité, c’est un mot que j’aime beaucoup aussi, conditionnement et sérénité, et du coup, tu es beaucoup plus à même d’être dans une bonne situation pour être performant. Et souvent d’ailleurs si on fait le lien avec la manière de fonctionner, derrière, c’est un petit peu ce qu’on recherche dans l’état de flow, l’état de grâce par la suite, c’est-à-dire qu’effectivement on a ce sentiment que les choses sont simples, elles roulent toutes seules. C’est un peu un pilote automatique. On n’est pas du tout dans le contrôle et dans la stratégie de vouloir tout contrôler de A à Z. Et au contraire, on a l’impression d’être dans une sorte de sensation de flottement. Et tout se déroule finalement avec un temps d’avance. On est hyper lucide. Les choses se déroulent telles qu’elles. Ça fonctionne beaucoup mieux, une sorte de pilote automatique qui fonctionne beaucoup mieux, un peu comme si on avait éteint tous les systèmes d’alerte qu’il pouvait y avoir à différents endroits, et faire en sorte que tout soit dans un espace hyper serein et hyper confiant.

Caroline : OK. Et est-ce que du coup, on peut, si on passe maintenant un petit peu plus sur le concret, est-ce que tu as des outils ? Est-ce que c’est des choses qu’on peut pratiquer de manière facile à la maison ? Est-ce que ça demande beaucoup de pratique ? Est-ce qu’avec seulement quelques, tu vois je ne sais pas, quelques séances, je ne sais pas comment tu appelles ça, mais voilà, pour rentrer plus sur du concret.

Aymeric : Oui. Alors, on peut prendre des exemples peut-être plus sûrs… au moins dans un premier temps sur le côté du quotidien ; c’est-à-dire les principes qu’on peut établir pour s’éduquer d’une certaine manière à mettre un peu plus de chance de son côté pour pouvoir mieux vivre certaines situations, mieux s’y préparer au contraire, moins être touché par des situations qui sont assez inconfortables. Et par exemple, il y a un principe qui est extrêmement simple, pas besoin d’énormément de pratique pour le faire. C’est le principe d’association et de dissociation ; dans les formes de travail qu’on a en imagerie ou en visualisation, et notamment par rapport au sens visuel, pourtant, on a un peu plus de la vision ici, on a ce qu’on appelle l’imagerie associée et l’imagerie dissociée. On parle aussi parfois d’imagerie interne et externe ou à la première ou à la troisième personne. L’imagerie dissociée, c’est la plus simple à comprendre, c’est que, on visualise finalement la situation ou le mouvement ou la scène comme si on était spectateur ou spectatrice de ce mouvement. On prend du recul, on se dissocie de la situation et finalement on devient spectateur aux caméras en train de filmer la situation et on voit l’intégralité de la situation devant nos yeux. Donc ça peut être nous, qui sommes en train de faire quelque chose, comme ça peut être quelqu’un d’autre, mais on voit ça de l’extérieur, donc on voit l’intégralité de la scène ; ça permet de contrôler, d’appréhender, de bien visualiser tout ce qui se passe. Et ça, on l’appelle l’imagerie dissociée parce que finalement on se dissocie de cette scène-là. Et d’ailleurs, je vais y revenir, quand on se dissocie de la scène, on n’est plus acteur, donc souvent on coupe le rapport au corps, même si certaines personnes sont capables de le faire que partiellement, mais d’une manière générale, et c’est ça qui va être intéressant dans l’ouverture que je vais vous proposer, c’est de se couper justement de ce rapport. Et à l’inverse, l’imagerie associée, c’est plutôt le fait de devenir forcément acteur ou actrice de ce mouvement-là. Donc là, si on parle de la vision, c’est vraiment le principe de la caméra embarquée, on a la caméra embarquée. Et on voit vraiment ce qui se passe lorsqu’on est en train d’évoluer dans l’environnement. Donc on ne voit pas l’intégralité du corps lorsqu’on est en mouvement, on voit les bras, les jambes globalement, et puis on voit surtout ce qui se passe autour de nous, les personnes qui sont là, l’environnement qui défile, et cetera. Et ça, on est vraiment embarqué donc on est vraiment associé à la situation. Ce qui est intéressant quand on fait cette forme de travail là c’est que souvent, quand on s’associe visuellement à la scène, on ressent également beaucoup de choses. On perçoit énormément de sensations, que ce soit au niveau corporel, au niveau tactile, au niveau émotionnel, on perçoit davantage et finalement, si on applique ça dans un principe association/dissociation, on va être sur une logique où on va parfois être pleinement dans la possibilité de s’imprégner de ce qui se passe et inversement dans la capacité de se couper de ce qui se passe. Donc on va s’imprégner quand on va s’associer et on va se couper de la situation quand on va se dissocier. Si on prend l’exemple d’une situation, alors on prend deux exemples ; une situation plutôt confortable, positive, une situation plutôt inconfortable ou vécue comme étant… ça peut être dans la vie quotidienne ou personnelle ou sportive ou professionnelle. En fait, si on demande à la personne dans la situation positive de s’imaginer, de revivre mentalement cette situation en étant associée, donc on lui demande vraiment de se remettre dans la peau du personnage qu’elle était quand elle a vécu cette situation-là et de revoir tout ce qui s’est passé. Donc elle peut fermer les yeux ou pas, et puis elle laisse défiler devant ses yeux en étant vraiment actrice de ce mouvement-là, elle laisse défiler devant les yeux tout ce qui s’est passé et toute cette scène. Ce qui va se passer en s’associant à cet élément positif là, c’est que, il y a de fortes chances qu’elle arrive à refaire monter un peu l’intensité émotionnelle et à revivre finalement cette situation-là. Donc c’est plutôt intéressant et ça permet de ré-évoquer, d’ancrer, voilà, de ramener à soi en fait les caractères positifs de ce qu’elle a vécu. C’est d’ailleurs ce qu’on cherchera à faire, on crée un comportement pour pouvoir le ramener à soi par la suite. Si je vous demande de faire exactement la même chose, mais en se dissociant, donc la même situation positive, mais on sort du corps, on prend du recul, on se voit de l’extérieur donc, quel que soit l’angle de face, de tiers, de profil ou de dessus, la scène, tout de suite ça perd un petit peu de sa saveur ; c’est-à-dire qu’on est en train d’assister à quelque chose qu’on a vécu comme étant positif, mais comme on a coupé le rapport au corps, c’est quelque chose qui devient un petit peu plus neutre, donc on se coupe, et finalement on ne ressent plus trop les effets. On apprécie visuellement ce qui se passe, mais on n’a plus trop les effets au niveau corporel. Ce qui veut dire que du coup, quelque chose de positif, si je m’y associe, je m’en imprègne pleinement, si je me dissocie, je le neutralise et j’en coupe un petit peu les effets de la scène. Maintenant, je demande la même chose sur un événement un peu plus négatif, ça va être l’inverse ; c’est-à-dire que si la personne s’associe à la situation négative, elle va recréer l’inconfort. Donc elle va recréer… souvent quand on demande à une personne de faire ça, une situation un peu inconfortable, on a des grimaces, on a une expression corporelle de quelque chose qui est assez inconfortable ; si par contre je lui demande de se dissocier tout simplement de la situation, donc de prendre du recul et de se regarder en train de vivre la situation négative, comme on coupe le rapport au corps, généralement on prend une distance visuelle, mais on prend aussi une distance affective, et du coup ce simple exercice-là permet déjà de couper un petit peu justement l’expression, la manifestation corporelle des événements affectifs qui sont considérés, qui sont vécus comme étant négatifs. D’ailleurs, si on pousse un petit peu ce travail-là, en hypnose et en PNL ils font même des doubles dissociations ; c’est-à-dire qu’ils font le travail de dissociation et ensuite ils demandent de se redissocier une deuxième fois et de se voir en train de regarder. En fait, quand on multiplie ces dissociations-là, on accentue la dépersonnalisation du corps, on coupe, c’est beaucoup, quelque chose qui travaille beaucoup sur les phobies notamment, c’est quelque chose qui permet vraiment de couper tout ce qui est viscéral et manifestation physiologique au niveau corporel de l’inconfort qu’on est en train de vivre. Si je reviens sur la logique, je trouve que même si l’objectif ce n’est pas de systématiser de manière démesurée, le principe d’être capable de consciemment s’associer aux choses positives, lesquelles on veut s’imprégner et se dissocier des choses négatives, c’est déjà une première manière de s’éduquer au quotidien, à prendre le contrôle finalement sur une partie du volet émotionnel de ce qu’on est en train de vivre et de l’impact que ça peut avoir sur nous. Je trouve que c’est un travail à expérimenter, qui ne demande pas beaucoup de familiarisation, qui est assez simple à faire, qui s’affine avec la pratique et qui peut être hyper utile, voilà, à partir du moment où on est confronté à quelque chose de négatif, tout de suite, je me dissocie, je prends de la distance affective, dès que je suis concerné par quelque chose de positif, confronté à quelque chose de positif, je m’y associe pleinement pour vraiment de manière intentionnelle, m’en imprégner et du coup, essayer de mettre en mémoire un peu corporelle ses effets.

Caroline : Et par exemple, pour s’associer à une situation qu’on vit et qu’on a envie de… enfin, pour vraiment s’y associer pleinement, c’est faire attention au bruit, faire attention aux odeurs, faire attention à ce qu’on ressent, faire attention au soleil…

Aymeric : Là on peut faire un lien avec la pleine conscience, à ce moment-là, c’est vraiment être dans l’instant, être dans l’instant et vraiment apprécier, et laisser entrer dans le champ de la conscience et vraiment l’intégrer à soi, effectivement tout ce qui, à un moment donné, fait que la situation est agréable. Donc c’est les bruits, c’est les sensations, c’est beaucoup les sensations, ça se passe beaucoup au niveau corporel. C’est effectivement voilà, tout ce qui vient alimenter la mémoire des différentes modalités sensorielles, ce qui va nous permettre par la suite de le ramener à l’esprit, de ré-évoquer mentalement. Et plus on va être capable de faire ça, plus on va effectivement l’ancrer d’une certaine manière en soi et plus du coup on pourra le réutiliser facilement par la suite.

Caroline : Est-ce qu’on a déjà observé la situation où tu es en situation d’inconfort et en pleine conscience j’ai envie de dire, tu te dissocies de cette situation d’inconfort ?

Aymeric : Oui, oui, il y a des choses qui ont été faites, il y a des choses qui ont été faites, il y a des études qui ont été faites là-dessus. Et, alors, ça se traduit par différents marqueurs, les marqueurs les plus simples et peut être les plus utiles au quotidien, c’est simplement une forme d’auto-évaluation, c’est, qu’est ce qui se passe ? Qu’est-ce que je ressens ? Qu’est-ce que je perçois à ce moment-là ? Et je suis capable de, quand je suis dans une situation d’inconfort, d’immédiatement prendre du recul par rapport à la situation, ne plus alimenter finalement ce qui génère de l’inconfort ; parce que si je nourris et que je vibre au niveau de quelque chose qui est désagréable, je ne fais que renforcer ce caractère désagréable là, je l’accentue, je l’attise donc du coup, il y a cette approche un petit peu la pleine conscience, c’est ça c’est, je perçois quelque chose d’inconfortable, c’est un fait, il peut y avoir quelque chose effectivement de désagréable, mais je ne le nourris pas, ni en bien, ni en mal. Je ne cherche pas à lutter contre, mais je ne cherche pas non plus à m’en défaire. Je considère simplement que c’est rentré dans le champ de la conscience, c’est là, très bien. Mais moi je réoriente mon attention sur, par exemple, le souffle. Ils le font beaucoup sur le souffle, et en fait, je reste dans l’instant présent. Je n’alimente pas véritablement quelque chose de négatif, donc ça, c’est une approche un peu différente, mais qui fonctionne bien en manif, mais si on prend l’exemple d’association/dissociation qui est peut être un petit peu plus stratégique pour le coup, mais le fait de se dissocier, d’être capable de prendre de la distance et en même temps de relativiser, peut-être de réorienter la tension en parallèle, c’est un peu plus stratégique, donc on n’est pas du tout dans la pleine conscience. Pour le coup, on est vraiment dans une approche calculée, mais ça peut être quelque chose effectivement d’intéressant qui peut se traduire même comportementalement, tout de suite par des sensations qui valident entre guillemets le fait que voilà, il y a un apaisement, il y a une forme de sérénité qui revient. Et ça, c’est la première illustration et peut être la plus importante pour l’individu, c’est d’être capable de sentir ça, parce que c’est ça qui le fait basculer dans l’anxiété ou pas, par la suite, en fonction de la situation. Et derrière, il y a d’autres marqueurs physiologiques.

Caroline : Est-ce que tu ne risques pas de tomber, à l’inverse, dans un extrême ou à la limite, tu en viens à apprécier une situation d’inconfort là où tu ne devrais pas l’apprécier ? Par exemple, je prends un exemple tout bête, où tu es dans une situation inconfortable parce qu’il y a une dispute ; par exemple pour un jeune enfant, il y a ses parents qui se disputent et je pense que de manière un peu inconsciente pour le coup, et qui n’est pas forcément consciente, il va peut-être s’extraire de la scène et partir lui dans ses pensées en se mettant dans une situation de confort, et limite, il en viendrait à apprécier ces situations de confort. Je ne sais pas si tu vois où je veux en venir ?

Aymeric : Alors, c’est une bonne question. Et ça me fait penser à un autre aspect que je prendrai comme exemple juste derrière, mais c’est une possibilité. Alors c’est une possibilité qui est un petit peu extrême, probablement ; c’est-à-dire que dans de très nombreux cas de figure, on n’arrivera pas à cet extrême-là, parce qu’on pourrait considérer qu’effectivement il va apprécier, ça devient en quelque sorte un déclencheur qui lui permet d’être dans une situation hyper confortable, donc il va aller le chercher, où ça pourrait même être de la provocation, c’est-à-dire qu’il se rend compte qu’il a le contrôle et la capacité à maîtriser finalement la situation, ça pourrait en devenir même amusant de voir la personne s’énerver de l’autre côté et de lui rester complètement insensible et impassible par rapport à ça. Donc oui, c’est un cas de figure qui peut exister, il ne faut pas l’exclure, ce n’est probablement pas le plus fréquent, mais c’est quelque chose qu’il faudrait probablement surveiller. Ça me fait penser à l’exemple quand on travaille chez les sportifs sur la confiance en soi ; quand on est amené à travailler sur la confiance en soi et mettre en place des situations qui ont pour objectif de renforcer la confiance, de diminuer l’anxiété de… on peut se poser la question de dire, mais à un moment donné, est-ce qu’il n’y a pas un risque de trop plein de confiance et donc de manque d’investissement derrière et de relâchement ? C’est possible, c’est possible. Ce n’est pas fréquent parce que c’est rare de passer d’un extrême à un autre, c’est rare d’en arriver là, il y a des marqueurs comportementaux, qui vont nous renseigner là-dessus. Mais effectivement, c’est quelque chose qui reste dans le domaine de, théoriquement de possible, et qu’il faut certainement avoir à l’esprit pour contrôler. Il n’y a pas beaucoup de risques et d’effets pervers à travailler sous cette forme-là, mais ça fait peut-être partie et voilà, il faut être vigilant, je pense, par rapport à ces extrêmes-là, ou ces dérives qu’on pourrait observer, même si elles resteront à mon sens assez peu fréquentes.

Caroline : OK. Et si on part sur le deuxième outil ?

Aymeric : Alors sur un deuxième outil, on pourrait… alors, quelque chose qui se fait relativement bien et qui est assez connue, on peut par exemple prendre l’exemple de l’ancrage, parce que ça, c’est quelque chose qui va être utile pour plein de personnes, dans plein de situations différentes. L’exemple de l’ancrage, c’est, en fait la capacité qu’on va avoir à ramener à l’état présent une ressource qui fait défaut ou qui n’est pas disponible et dont on a besoin. Donc je vais la ramener de manière instantanée, un peu, je prends souvent la métaphore de l’interrupteur ; quand on appuie sur un interrupteur, la lumière s’allume, quand on appuie sur un interrupteur, la lumière s’éteint. L’idée, c’est ça, c’est de faire une liaison corps-esprit qui a pour objectif de ramener de manière instantanée une ressource de la même manière que quand on allume la lumière. Et en fait, l’esprit humain fonctionne beaucoup comme ça. On est tous truffés d’ancrage, quels qu’ils soient, visuel, auditif, parfois on entend une musique, immédiatement, ça fait référence à quelque chose qu’on a vécu des années auparavant et on revit complètement la scène. Ça déclenche une forme d’ancrage, de liaison en fait, corps-esprit, c’est-à-dire, on a un déclencheur. Ce déclencheur-là ramène une ressource, une sensation, évidemment on a des ancrages positifs ou négatifs, c’est beaucoup comme ça, même si je me permets de faire une parenthèse, paradoxalement, on ne sait pas du tout ce qui se passe d’un point de vue neuronal, en tout cas pas en détail sur la construction de cet ancrage-là et la manière dont on l’opérationnalise, et on le maintient comme étant efficace au fil du temps. On n’a pas énormément d’information là-dessus.

Caroline : On a identifié le fait qu’on arrivait très bien à ancrer, mais par contre on n’a pas identifié comment cet ancrage se mettait en place.

Aymeric : On ne connaît pas bien tous les processus, en tout cas pas de manière… ce n’est pas aussi clair que ce qu’on aimerait avoir. On n’a pas un circuit très établi ou dont on sait que quand on va faire un ancrage, c’est ça qui va se passer, ce n’est pas aussi clair que ça.

Caroline : Alors comment on arrive à faire un bon ancrage ?

Aymeric : Oui, on arrive quand même à faire de très bon ancrage malgré tout. Alors je vous donne la recette de l’ancrage. Il y a plein de manières de faire cet ancrage-là. Là on va le faire vraiment sous la forme d’imagerie. L’idée c’est quoi ? C’est de se dire, dans un premier temps, il y a certains prérequis : un, il faut que j’identifie la ressource dont je veux disposer ; cette ressource-là, il faut que ce soit une ressource dont j’ai besoin, positive, il ne faut pas que ce soit quelque chose dont je veux m’extraire. Par exemple, quelqu’un nous dit « Je voudrais chasser le doute ou l’anxiété » ; à ce moment-là, on ne peut pas ancrer le fait de vouloir chasser le doute ou l’anxiété, c’est de quoi tu vas avoir besoin, pour moins douter… donc on va aller chercher la ressource, on va identifier la ressource. Ensuite, le deuxième élément c’est d’identifier, alors dans le parcours de vie, pas forcément dans la situation similaire à celle où on en a besoin, mais dans le parcours de vie, identifier un moment, où on a déjà vécu, on a déjà été imprégné de cette ressource-là. A priori, j’ai eu quelques exemples où les personnes me disaient « Mais non, non, je ne l’ai jamais vécu ». Donc on a des petits artifices qui permettent de pallier à ça. Mais de manière générale, on a à peu près toujours vécu une situation dans laquelle on a la ressource dont on a besoin. Si je prends un exemple vraiment très très bateau, très schématique, si on prend l’exemple de la confiance même si c’est très très large, c’est souvent ce que vont chercher les personnes quand on travaille sur l’ancrage, j’ai besoin d’un peu plus de confiance ou détermination, certitude, OK, c’est quoi le moment dans ta vie où tu as vraiment été imprégné d’une confiance à toute épreuve, tu étais vraiment dans ta bulle, tu étais invulnérable, tu étais indestructible, et là tu étais vraiment empreint de détermination, de certitude qui faisait que tu avais vraiment, vraiment confiance en toi. Il y a forcément un moment, vie personnelle, vie intime, vie professionnelle, vie amicale, vie familiale, il y a un moment où tu as déjà été imprégné de ces ressources. Et c’est sur ce moment-là qu’on va aller travailler, on va aller chercher à le faire revivre. Le troisième élément, c’est avant de commencer, de déterminer le déclencheur, donc le déclencheur qui permettra de faire cette liaison corps-esprit. Là, le déclencheur, il peut être libre. Ça peut être un mot, peut être auditif, dialogue interne, ça peut être une image, ça peut être un geste, dans la motricité nous on utilise beaucoup le geste, le fait de serrer le poing, d’apposer deux doigts, mais, ça peut être un mélange de ça, ça peut être un mot associé à un son. Voilà, on comprend ce qu’on veut. Mais l’idée, c’est qu’on détermine clairement le déclencheur dont on a besoin, et par la suite, alors, c’est quelque chose qu’on peut faire seul, c’est quelque chose qu’on peut faire accompagner, il y aurait des petites subtilités dans les consignes et dans le guidage, mais globalement, l’exercice ensuite il consiste à revivre mentalement, c’est là qu’intervient la visualisation imagerie, revivre mentalement toutes… la situation de vie dans laquelle on a déjà été imprégné de cet élément-là. Si je reprends mon exemple sur la confiance et que la personne me dit « Moi, il y a eu un moment donné dans ma vie professionnelle où vraiment j’ai été, oui vraiment, j’étais sûr de moi. J’avais vraiment ce sentiment-là de réussite, de confiance en moi absolue. J’étais vraiment invulnérable » ; OK, on va lui refaire revivre ce moment. Pour lui faire revivre ce moment-là, on va l’accompagner à travers les différentes modalités sensorielles, donc on va lui refaire visualiser tout ce qu’il avait vécu à ce moment-là, où est-ce qu’il est, qu’est-ce qu’il y avait autour de lui, à quel endroit, on prend le soin de vraiment d’analyser, de revivre tous les détails. C’est une immersion en fait, c’est un peu comme de la réalité virtuelle ; donc de ramener à l’état présent ce qu’il avait vécu et on va l’accompagner sur les différents sens comme ça, donc le visuel, l’auditif et je dirais le corporel au sens très large, donc toutes les sensations, mais aussi toutes les émotions, et cetera. Et on va faire monter comme ça, un peu comme une courbe parabolique, on va faire monter l’intensité ; d’ailleurs, petite subtilité, c’est que souvent, si on fait une spirale des sens, si on mélange un petit peu les sens plutôt que de le faire de manière très linéaire, ça marche encore mieux, on peut monter l’intensité de manière un peu plus, un peu plus marquée, et en fait, une fois qu’on arrive en haut de cette intensité émotionnelle, à l’apogée de l’intensité, c’est là qu’on utilise le déclencheur. La personne, si par exemple son déclencheur c’est de serrer le poing, quand elle va être consciente, elle va serrer le poing très fort et elle va créer, renforcer cette liaison-corps esprit, c’est-à-dire qu’elle est animée de la ressource dont elle a besoin au moment où on est en train de travailler, et là elle va serrer le poing et quand elle se fait accompagner, on va même le matérialiser verbalement, c’est-à-dire qu’on va dire qu’à partir de maintenant, quand elle va serrer le poing droit très fort, elle va pouvoir ramener instantanément cet état-là qu’elle est en train de vivre, cette confiance dont elle a besoin, cette ressource, voilà, on peut vraiment l’ancrer, on va faire ça pendant dix secondes ; ensuite, on relâche et puis on peut, voilà, une petite forme de distraction, et derrière souvent on teste l’ancrage. L’idée, c’est de dire, là j’ai solidarisé le lien corps-esprit en serrant le poing et je l’ai vraiment intentionnellement marqué, ancré. Ce qui fait qu’à partir de ce moment-là, lorsque j’aurai besoin de ce protocole-là, lorsque j’aurai besoin de mon ancrage, j’aurai juste à serrer le poing. Donc je serrerai le poing et normalement, l’effet, c’est que ça doit ramener en moi cette sensation qui caractérise ou qui symbolise la confiance en soi dont j’avais besoin.

Caroline : Et on peut en ancrer plein ?

Aymeric : On peut en ancrer plein. Alors souvent le travail, la nécessité d’être répété deux-trois fois ou pendant deux-trois jours, vraiment pour le solidariser, surtout si on n’était pas à l’intensité maximale, voilà si on a déclenché un peu trop tôt ou un peu trop tard. Parfois, les personnes ont besoin de le faire plusieurs fois. Mais par contre, une fois qu’il est installé, qu’on l’utilise un petit peu, c’est quelque chose qui peut rester pendant des années, qu’on peut utiliser vraiment à n’importe quel moment. Et comme tu disais, on va pouvoir ancrer plein de choses, on va pouvoir ancrer plein de choses avec le même déclencheur, on va pouvoir aussi désencrer des choses négatives avec ces déclencheurs-là. Voilà, il y a des protocoles un peu qui se déclinent, qui se dérivent, qui font que voilà, on peut éliminer du négatif, on peut renforcer le positif, même si ça reste des outils, entre guillemets refuges, qu’on utilise en situation réelle. Donc on ne va pas traiter des traumas là-dessus, pas traiter des choses qui sont lourdes au niveau émotionnel ou au niveau effectif, on va traiter des inconforts ou des besoins, voilà, qui sont vraiment, qui se font ressentir dans le moment, dans l’instant.

Caroline : Et pour, par exemple, je ne sais pas, ramener de la détente ou tu as empêché une personne d’être stressée…

Aymeric : Le lieu sûr qui est une forme d’ancrage qu’on utilise beaucoup en clinique, c’est voilà, avoir un lieu refuge dont, quand j’ai besoin de me détendre et de relâcher, de laisser mes problèmes, tout de suite, j’ai mon ancrage, je vais chercher mon lieu sûr et immédiatement le lieu sûr induit chez moi cet état de détente, cet état de bien être, cette sérénité, cet apaisement. On va pouvoir aller chercher comme ça, par exemple de la détermination, de la combativité, de la confiance en soi, de la motivation, des éléments comme ça dont on pourrait avoir besoin pour pouvoir être performant, encore au sens très large du terme, dans la vie quotidienne. Si c’est une prise de parole en public et qu’on a besoin de quelqu’un qui se relaxe parce qu’il est hyper tendu, hyper anxieux, il peut utiliser un ancrage pour ça. Si au contraire on a besoin de quelqu’un qui a une sorte de, un peu plus d’effet tunnel, moins distrait, un peu plus de s’activer, on aura un ancrage différent, qui sera plutôt orienté sur le, voilà, j’augmente l’éveil physiologique, je me prépare vraiment, un peu comme si je me préparais physiquement à un effort, voilà…

Caroline : Ça ressemble quand même beaucoup à l’hypnose, non ?

Aymeric : En fait, on utilise des ancrages en hypnose, on utilise des ancrages en hypnose, donc on le fait en état de conscience modifié ou altéré, en tout cas un niveau de conscience un petit peu différent de ce qu’on vit habituellement. Et, on utilise beaucoup d’ancrage effectivement pour travailler, oui tout à fait. On trouve également en PNL ou en sophrologie, l’ancrage, c’est plus l’idée de la logique de faire cette liaison corps-esprit. On va pouvoir travailler de manière très différente à différents moments.

Caroline : Et est-ce qu’il y a des déclencheurs qui marchent mieux que d’autres ? Ou je ne sais pas, est-ce que si je me touche le bout du nez, ça marche ?

Aymeric : Alors, je ne dirais pas qu’il y a des zones ou des déclencheurs vraiment spécifiques qui soient plus efficaces que d’autres. Par contre, ils vont être très sujet dépendant, donc ça va être très dépendant de la sensibilité de la personne. Il y en a qui vont avoir besoin que ce soit une image, par exemple, d’autres ce sera plutôt un geste, c’est plutôt là qu’on va voir… il faut essayer de trouver l’ancrage qui soit, qui a le plus de sens par rapport à la personne et qui fonctionne mieux chez elle. Mais on n’aura pas un ancrage qui, de manière assez transversale ou universelle, sera meilleur chez tout le monde parce qu’il aura plus de sens ou il viendra activer une région du corps bien particulière. On n’a pas, on n’a pas identifié ça en tout cas.

Caroline : D’accord. Parce que le déclencheur pourrait être une image que tu te visualises ?

Aymeric : Complètement. Dans l’exemple du lieu…

Caroline : Par exemple…

Aymeric :… si on prend l’exemple du lieu sûr qui est le lieu d’apaisement, de détente, c’est généralement un endroit, réel ou virtuel d’ailleurs, ça peut être un endroit de la vie de tous les jours, pour certains ça peut être sa chambre, ça peut être un endroit en vacances, ça peut être un endroit en forêt ou complètement, c’est souvent un endroit où il n’y a personne, ça dépendant de la personne, mais ça peut tout à fait être un endroit virtuel sur notre planète, sur la lune, ou un endroit qui n’existe pas en tant que tel, mais qui visuellement est construit par la personne comme étant un cocon vraiment de, où là il peut se permettre de lâcher prise complètement. Donc ça, c’est une image, ce lieu sûr là. Pour d’autres, il y avait un exemple dans un reportage qui était passé, dans lequel on avait travaillé et, une autre équipe avait travaillé chez Florent Manaudou, avec le mot puissance, et lui son entraînement, son ancrage il était auditif, c’était, à chaque fois qu’il utilisait le mot puissance, il se mettait dans un état physiologique qui était vraiment propice à la performance. Donc il peut vraiment être hyper diversifié en termes de sens et ça peut même être un croisement, une image associée à un son ou un geste associé à une image par exemple,

Caroline : Et ça vraiment donc, sur, par exemple pour reprendre l’exemple de Florent Manaudou, ça, vous avez vu concrètement la progression ? Est-ce que c’était un ensemble de facteurs qui lui ont permis d’augmenter ses performances ou est-ce qu’on arrive vraiment à déterminer que non, c’était par exemple cet ancrage et…

Aymeric : on ne pourra jamais dire que ce n’est que dû à l’ancrage, très clairement. Moi je le présente vraiment, cet ancrage c’est un peu comme un boosteur, c’est un boosteur qui, un petit élément qui va décupler ou qui met vraiment dans les meilleures dispositions, juste avant d’être amené à être performant, encore une fois au sens très large du terme. Donc c’est un, alors, il peut y avoir aussi, il ne faut jamais le négliger, un élément placebo dessus, c’est évident.

Caroline : Oui c’est ce que j’allais, je voulais justement, ça allait être mon prochain point.

Aymeric : Mais si cet élément placebo là est un, joue un rôle dans l’état d’esprit de la personne et lui permet d’être plus performante, on ne va pas s’en priver, mais évidemment qu’il peut y avoir un effet placebo. Après au-delà de ça, il y a quand même des manières de contrecarrer cet effet placebo et d’essayer de montrer que voilà, il ne suffit pas d’utiliser un mot, d’utiliser un geste qui n’a pas été travaillé ou qu’on n’a pas solidarisé cet ancrage-là, pour qu’on ait le même effet. Sinon, effectivement, ça ne tiendrait pas et ce ne serait pas aussi utilisé aussi intéressant.

Caroline : Mais j’imagine qu’on l’a mesuré quand même.

Aymeric : Oui, alors, je n’ai pas en tête comme ça de ce qui, il n’y a pas beaucoup d’études scientifiques sur l’ancrage en tant que tel, je n’ai pas en tête une étude qui aurait vraiment matérialisé la comparaison directe d’un ancrage et de son placebo. Il y a certainement des travaux qui tournent un petit peu autour de ça. Après à l’usage, j’ai envie de dire, c’est quelque chose un petit peu comme des routines de performance chez les sportifs, des petits rituels qu’ils utilisent juste avant d’être performants. C’est quelque chose dont l’utilisation au quotidien d’un point de vue pragmatique et pas vraiment, on ne peut pas être remis en cause parce que, il y a un effet très subjectif sur la personne, dont un élément certainement est placebo, mais il y a un effet très subjectif qui fait qu’elle est dans les meilleures dispositions. Donc ce qu’on observe, c’est que dès qu’on casse un petit peu ce rituel, ou cette routine-là, ou dès qu’on n’utilise plus l’ancrage de quelqu’un qui a pris, qui a la conviction que ça fonctionne et qui l’a mis en place et qui a vu des effets, tout de suite, on lui enlève quelque chose et on perturbe finalement sa préparation. Sauf que là, ça devient multifactoriel. C’est extrêmement difficile de dire… ce n’est pas binaire dans le raisonnement de dire qu’il y a l’ancrage, il n’y a pas, ça fonctionne, ça ne fonctionne pas, on ne pourra pas arriver jusque-là. Il fait partie en fait d’un élément de préparation, d’un élément de maîtrise de la situation pour pouvoir être performant. Mais je peux prendre un autre exemple qui va un peu, qui n’est pas un outil en soi qu’on construit, mais qui se rapproche un peu du premier exemple sur le principe d’association et de dissociation, et qui finalement fonctionne de manière à peu près équivalente, on ne crée pas cette liaison corps-esprit de manière formalisée. Et pour autant, c’est quelque chose qui est très utile au quotidien également, c’est tout simplement la manipulation des sous-modalités, de la visualisation. Si on prend l’exemple du sens visuel, encore une fois, parce que c’est le plus parlant, le simple fait de modifier le caractère du contenu visuel d’une scène, permet d’en accroître ou d’en diminuer son impact affectif entre guillemets. Donc, si par exemple, je suis confronté à une situation un petit peu inconfortable, le fait de visualiser cette situation-là me met dans l’inconfort. Mais si je la visualise en modifiant le contenu de l’image, je vais arriver à la moduler et du coup, je vais moduler également l’impact affectif qu’elle va avoir sur moi. Par exemple je la passe en noir et blanc, et le fait de simplement la passer en noir et blanc, ça enlève de la saveur à la situation, ça la rend un petit peu plus terne, un petit peu plus austère. Je vais la rendre plus floue, je vais jouer sur le contraste, sur la luminosité, et la même image qui génèrent chez moi de l’inconfort, mais que je mets sous cette forme-là, en manipulant finalement le caractère du visuel, ça diminue l’inconfort, de manière instantanée. Le fait de prendre de la distance, de se reculer ou d’imaginer que l’image devient toute petite, et tout de suite, l’image elle perd en impact négatif. Donc en fait…

Caroline : J’aime beaucoup cet exemple du noir et blanc. Est-ce que tu en as d’autres, des petits exemples comme ça ? Donc, ça, je trouve que c’est des petits tips très rapidement activables, et je trouve ça très chouette. Donc, est-ce que tu en aurais d’autres que le noir et blanc ou se voir avec…

Aymeric : La taille fonctionne très bien. La taille fonctionne super bien, le fait de prendre de la distance ou d’imaginer que l’image qu’on a elle est sur un grand écran, puis tout d’un coup on la réduit à l’échelle d’un timbre-poste, tout de suite ça diminue l’impact. D’ailleurs, en PNL, ils ont des approches qui… ils manipulent comme ça les sous-modalités. Il rajoute une autre dimension également ; c’est souvent dans les relations interpersonnelles, on voit ça, et ils rajoutent, ils manipulent, ils rajoutent de l’humour, un caractère humoristique, par exemple, dans une relation de hiérarchie où ça ne s’est pas très bien passé, où il y a une forme de ressentie d’humiliation, de ressenti de mal être, le fait de réimaginez la scène, mais d’apporter des éléments supplémentaires qui vont ridiculiser la personne, qui vont la mettre dans un état un peu plus humoristique et diminuer la crédibilité, changer la voix, changer l’aspect visuel, c’est souvent des choses qui permettent de voir ou d’apporter un éclairage complémentaire ou différent de la scène. Parce que si on modifie la voix comme une voix de dessin animé, par exemple, à la personne, on entend le même discours qui est un discours qui est lourd, effectivement voilà, qui nous a pesés, mais de l’entendre de manière un peu plus humoristique, tout de suite, ça enlève de la crédibilité au sens de ce discours-là, au même titre que de passer en noir et blanc ou de réduire la taille. Je sais que dans les approches type PNL, ils utilisent aussi beaucoup l’humour, comme ça, pour venir alimenter une scène et modifier, recadrer, beaucoup de recadrage dans ces approches-là, recadrer un petit peu une scène, qui permettent de finalement en modifier le caractère affectif et du coup toute la cascade d’impact que ça a sûrement derrière et ça, ça fonctionne très très bien, ça fonctionne très bien. C’est quelque chose qu’on peut apprivoiser en temps réel ou juste après un événement un peu négatif pour justement arriver à diminuer un petit peu cet impact-là et à ne pas laisser s’installer quelque chose de négatif de ce type. Ça fonctionne relativement bien.

Caroline : J’arrive très bien à visualiser et conceptualiser des scènes, tu vois comme on disait un petit peu tout à l’heure en fait, où tu es actif, où tu es dans l’action. Si jamais on a envie d’appliquer certaines de ces techniques à quelque chose de plus intellectuel, comment est-ce qu’on peut faire ?

Aymeric : Alors, je le projetterais plus dans le contexte de cet intellectuel-là, c’est-à-dire que, qu’est-ce qui se passe au moment où tu veux travailler par exemple, alors, je ne sais pas ce que… tu as un exemple particulier sur quelque chose d’un peu plus intellectuel ?

Caroline : Quelqu’un, parce que c’est le secteur qui me concerne, quelqu’un qui monte son entreprise et qui a besoin d’être particulièrement concentré sur la tâche qu’il fait ; alors, on est encore dans de l’action, mais qui a envie d’apprendre, une langue par exemple ?

Aymeric : D’accord, OK. Alors, je pense qu’il y a deux aspects dans l’exemple, un peu plus de, parce que le premier exemple que tu prends sur le fait de monter sa boîte ou de développer ses réseaux, de trouver de… voilà, des situations qui soient bonifiantes pour son activité, ça va faire appel finalement, effectivement, à des notions comme la lucidité, la clairvoyance, le recul, voilà, et en fait ça on peut le lier non pas à l’action en tant que telle, mais à la contextualisation. Et finalement, le fait de se projeter mentalement dans des contextes très différents, plus ou moins anxiogènes d’ailleurs, parfois anxiogène, parfois pas du tout, et d’être capable de se conditionner à rester efficace, lucide, justement dans l’analyse, dans l’efficacité de son analyse, mais dans ces contextes différents là, c’est en quelque sorte se préparer à être performant, quelle que soit la situation qu’on est amené à rencontrer. C’est un peu comme si on envisageait une situation, la pierre de touche, je prends un… je vais rebasculer dans l’action, mais dans l’esprit c’est un petit peu ça, mais, tout ce qui… les pilotes par exemple, les pilotes de ligne, le personnel de bord d’un avion, c’est un peu comme s’ils se préparaient finalement à une situation qu’ils ne vivront peut-être jamais, une situation vraiment de crash ou de turbulence, vraiment, ou de panne de moteur, et cetera ; et en fait ils vont se contextualiser mentalement dans ces situations-là, et le fait de s’y contextualiser va progressivement les amener à se conditionner pour finalement être le plus performants possible si toutefois un jour ils devaient y être confrontés. On prend le cas de situations extrêmes et de, on va dire de démarche interventionnelle de ces personnes-là. Mais si on prend l’exemple d’un dirigeant d’entreprise qui se projette sur les choix à faire, et cetera, c’est un petit peu comme s’il se confrontait finalement à des scénarii de, de situations, de choix à prendre, d’achat ou pas d’achat, de rentrer dans une branche, de développer telle branche de service par rapport à une autre, ou d’approcher tel réseau. Et en fait, il va vraiment essayer de vivre par avance, de peser le pour et le contre, de prendre des décisions, de projeter sur les conséquences de ces décisions-là. Il va essayer de schématiser d’une certaine manière, et ça, ça va lui permettre peut-être de se conditionner à, pas forcément dire ça va m’aider à prendre la bonne décision, mais ça va m’aider peut-être à gagner en lucidité, en faculté de recul, de clairvoyance sur les choses, et finalement quand je vais y être confronté, ça va revenir sur, voilà, j’ai déjà un petit peu vécu ça, donc j’ai le sentiment de voir un petit peu mieux les tenants et les aboutissants de ces situations-là. Je pense que c’est quelque chose, vraiment, le principe de contextualisation est pas mal.

Caroline : Et si…

Aymeric : Oui ?

Caroline : Non, vas-y.

Aymeric : Après, pour l’apprentissage d’une langue étrangère ou de ces aspects-là, alors, l’imagerie en tant que telle est peut-être un petit peu moins facile à identifier. Là on pourrait facilement partir sur des approches type hypnose ou technique d’activation de conscience ou, voilà, ou des notions qui nous mette dans des… qui cassent un petit peu les schémas habituels de pensée, les croyances qu’on a, pour pouvoir nous permettre peut-être de faciliter ou de développer nos facultés d’apprentissage ou de mémorisation. Et là, il y aura des entrées qui pourraient être intéressantes. Si je reste dans l’exemple de l’imagerie vraiment en tant que telle, on pourrait tout à fait partir dans de l’imagerie de sonorité, c’est-à-dire partir sur du phrasé, du problème de l’accent, le problème de, voilà, des sonorités étrangères, sur sa capacité à les reconnaître, sa capacité à les manipuler. On aurait une forme vraiment d’imagerie auditive, peut-être un peu accentuée par rapport à ce qu’on est amené à entendre et à prononcer. Et ça, ça pourrait jouer un peu comme une familiarisation, pour nous aider à nous familiariser davantage, un petit peu comme si on préparait le terrain au niveau neuronal et au niveau comportemental, pour pouvoir un peu mieux s’imprégner de ce qu’on va entendre et pour pouvoir un peu mieux maîtriser ce qu’on va pouvoir dire, encore une fois on serait dans cette étape-là de conditionnement et de familiarisation, donc de préparation à la performance. C’est quelque chose qu’on pourrait envisager. Après, c’est vrai que dans l’usage de ce type d’outil là, c’est peut-être un petit peu moins diversifié que quand on part sur du mouvement ou sur l’action, parce qu’on a moins de… la diversité des possibles est un peu moins grande. Mais je pense vraiment, moi j’orienterais vraiment des choses sur le son, sur le caractère auditif, et peut-être sur également l’état dans lequel je vais être pour pouvoir être mieux à l’écoute ou travailler plus durablement, enfin voilà, une sorte de, trouver l’état physiologique qui est propice pour moi, qui certainement variera d’un individu à un autre, à l’exercice d’appropriation de ces différentes sonorités, de cette langue étrangère là et de la maîtriser par la suite.

Caroline : Et c’est drôle, ça m’a fait penser à quelque chose, parce que tu disais sur le terrain de la préparation à la performance, donc on était dans la préparation, on en a vu pas mal pendant tout l’enregistrement, l’acte en lui-même, donc la performance en elle-même pour travailler sur cette performance, est-ce qu’on peut aussi travailler sur la récupération ?

Aymeric : Oui, oui, énormément. Alors là, on ouvre un autre schéma. Effectivement, il y a énormément de choses qu’on peut faire. Et là, pour le coup, c’est hyper attractif dans la mesure où ça ne demande quasiment rien. Il n’y a quasiment pas de coups, il y a vraiment, c’est très facile à mettre en œuvre et on peut faire énormément de choses. Alors, en fait, on va pouvoir récupérer de plein de manières différentes. On peut même établir une sorte de chronologie type, dans une pathologie, dans une blessure ou dans une situation. Alors on pourrait là encore partir dans deux directions. Si tu veux, on peut les envisager, il y a la récupération physique en cas de blessure ou de l’incapacité, et puis une récupération mentale, peut-être en termes de manque de sommeil, de fatigue perçue, voilà, on est encore sur des choses qui sont différentes. Dans le cas d’une incapacité motrice, on va pouvoir balayer très très large ; c’est-à-dire qu’au départ, pour schématiser, on va beaucoup travailler avec la personne, sur l’individu, à nouveau de manière indirecte, c’est-à-dire sur l’acceptation de la situation, sur l’état d’esprit, que l’état d’esprit soit positif, qu’on ait confiance en ses chances de récupérer, que voilà, on ne tombe pas dans le fatalisme ou dans la résignation et qu’on casse le cercle des croyances autoréalisantes ou de la validation automatique des prédictions qui pousse à envisager le pire, parce que très souvent, quand on est convaincu que ça va mal se passer, il y a de fortes chances que ça se passe mal, donc on va beaucoup travailler sur la personne et sur le caractère un peu, confiance de la personne. Et puis on va beaucoup travailler également sur la notion de douleur. Donc on va mettre en place des stratégies d’exercices qui fonctionnent très très bien, sur la diminution de la perception de douleur et donc voilà, le sentiment que ce soit un peu plus acceptable et moins désagréable. Je mets une petite parenthèse sur la guérison, parce que pour le coup, scientifiquement, pour moi, ce n’est pas encore clairement établi, il n’y a pas de raison de penser que la guérison s’accélère en tant que telle.

Caroline : C’est ce que j’allais te demander. Est-ce qu’il y a des preuves scientifiques de quelque chose sur…

Aymeric :… réparer des tissus, ça ne fonctionne pas. Il n’y a pas de raison, le travail mental ne va pas accélérer ce processus. Par contre, alors, il y a des tentatives d’explications, mais qui reste conceptuelle, parce qu’effectivement il se passe des choses d’un point de vue hormonal, d’un point de vue physiologique, le travail mental induit un certain nombre de choses. Mais ça, ça ne va pas jusqu’à mécaniquement permettre une réparation périphérique, j’entends, plus rapide. C’est un peu comme… les effets restent sans trop… ils restent au niveau neuronal les effets ; donc on peut développer la force, par exemple, on peut limiter la perte de force, mais on ne va pas limiter la fonte musculaire et on ne va pas développer le volume musculaire, on va jouer vraiment sur des facteurs nerveux de contraction musculaire, donc là c’est la même chose, il n’y a pas de raison que le travail mental accélère la cicatrisation, la résorption d’un œdème. Par contre, on a souvent des patients qui font de l’imagerie de guérison spontanée ; c’est-à-dire qu’ils s’imaginent des processus, alors un peu magiques, qui font que ça irait plus vite ou ça contribuerait. Et dans ces cas-là, l’effet il est certainement très fort niveau placebo. Donc moi la position que j’ai c’est que, si la personne le fait, je vais m’assurer qu’elle le fasse positivement parce que de toute façon elle le fait spontanément, donc il y a cet effet placebo qui peut être entretenu. Par contre si elle ne le fait pas, je ne vais pas l’initier parce qu’il y a, je vais créer des attentes qui à priori n’existent pas ou ne sont pas encore validées scientifiquement. Donc j’ai une position un tout petit peu plus prudente par rapport à ça. Et dans un premier temps donc, on a vraiment travaillé sur la personne. Dans un deuxième temps, et dès qu’on peut, en réalité, on le fait même en préchirurgie maintenant pour certaines pathologies, et c’est souvent la douleur, et la transition, mais dès qu’on peut, on va travailler sur du fonctionnel, du fonctionnel et du physique ; c’est-à-dire qu’on va lui demander de mobiliser mentalement la partie du corps qu’elle ne peut plus mobiliser physiquement, à travers des contractions musculaires ou des mouvements très simples. Pour prendre l’exemple du ligament croisé antérieur qui est souvent la pathologie la plus étudiée, je ne peux plus contracter les muscles de la cuisse, notamment au niveau du quadriceps, je vais imaginer mentalement que je contracte mon quadriceps. Donc sur des contractions isométriques sur place, sur des mouvements très simples d’extension de la jambe, et puis progressivement, je vais faire évoluer ça sur la course, sur la marche, sur la course, sur l’appui monopodial, sur support stable, sur support instable, sur du pédalage, sur des mouvements sportifs, et cetera. Mais l’idée c’est, je vais mobiliser mentalement, notamment au niveau des sensations et des contractions simulées, je vais mobiliser mentalement la partie du corps que je ne peux pas mobiliser ou pas encore physiquement. Et ça, ça va être intéressant parce qu’on va limiter la perte de force et limiter la perte d’amplitude articulaire. Donc on va en quelque sorte entretenir les schémas moteurs. Comment ça se passe ? On parlait tout à l’heure des activations cérébrales pendant l’imagerie. Dès que je vais imaginer le mouvement, je vais « allumer le circuit » qui est responsable de la contraction du muscle donc je vais le conserver. Ça évitera qu’il se fasse grignoter entre guillemets et on sait qu’il y a des envahissements au niveau neuronal, notamment en cas d’amputation, aller prélever les neurones qui faisaient, qui étaient dédiés au contrôle moteur et les intégrer dans d’autres réseaux. Donc on va limiter en fait cette diminution de confrontation au niveau cortical, on va entretenir le schéma moteur, pour le dire de manière un peu simpliste et ça, ça va se traduire par une meilleure synchronisation des unités motrices et donc davantage de force. Donc on joue sur de la réactivation musculaire, il y aurait une fonte, le muscle, il va fondre de la même manière que si on ne faisait pas de travail mental. Par contre, on va mieux synchroniser les unités motrices donc on va limiter la perte de force et repartir avec un niveau de force un peu plus élevé que si on n’en faisait pas. Et donc…

Caroline : Une forme de réapprentissage ?

Aymeric : Oui, une forme de réapprentissage ou de conservation de, voilà, de limitation des conséquences de la perte. Et dès qu’on peut, il faut travailler, cette forme-là, et donc, on fait des mouvements mentalement. Et ça, ça va permettre de récupérer fonctionnellement ou physiquement ou en cas de pathologie définitive, de construire des motricités compensatoires. On a eu l’occasion de travailler avec des tétraplégiques ou des amputés par exemple, où là on construit de nouvelles motricités pour qu’il retrouve de la motricité autonome dans la vie quotidienne. Et puis on avance comme ça. Alors si on a affaire à un sportif qui est blessé, on peut continuer à travailler sur la motricité sportive, ou sur la motricité d’un musicien par exemple. Et puis, plus on va arriver sur la fin, plus il va falloir se conditionner au retour à la pratique. On a le feu vert médical, mais on a souvent une phase d’anxiété, une douleur résiduelle, on ne sait pas trop si elle est présente ou si elle est perçue ou si elle est… c’est une forme d’appréhension, la peur de la reblessure, voilà, ce genre de choses là. Donc là, on peut réutiliser le travail mental pour se conditionner, non pas pour occulter une douleur parce que ce n’est pas du tout l’objectif, mais pour diminuer une sorte d’appréhension qui n’a pas vraiment… on a les pieds sur le frein, on va essayer de lever ces pieds-là et reprendre l’activité plus facilement. Et finalement, on peut traverser de manière transversale comme ça toute la récupération fonctionnelle. On pourra même se poser la question de la prévention si nécessaire. Donc on peut faire énormément de choses. Et là, le travail, il est vraiment prometteur. On a de très très bons résultats, aussi bien d’un point de vue pratique que dans certaines publications scientifiques qui se multiplient. Et c’est vraiment à moindre coût et on a une diversité des bénéfices qui est extrêmement importante.

Caroline : OK.

Aymeric : Maintenant, je prends un autre exemple. Parce qu’on pourrait dire « OK, mais là, c’est dans le cas d’une blessure physique, c’est un accident ou une blessure sportive ». Mais dans le cas de, simplement de la meilleure récupération, ça fonctionne aussi. Mais du coup, là on va davantage travailler, un peu comme tout à l’heure, sur la personne, donc ça va être un tout petit peu plus abstrait, ça va être… on est sur des choses plus subjectives, des sensations perçues, la fatigue, la douleur, ça reste des choses… il y a des marqueurs physiologiques, bien évidemment de ça, mais il y a aussi des marqueurs psychologiques qui sont parfois en désaccord, en incongruence avec ces marqueurs physiologiques. Parfois, la physiologie nous dit « Non, pas fatigué ou pas totalement fatigué » et psychologiquement, on n’en peut plus ou inversement. Donc du coup, c’est… on va davantage travailler sur l’individu et sur ce sentiment de récupération, de relâchement, d’apaisement, de diminution du seuil de fatigue perçue. Enfin, on va jouer sur, au même titre qu’on pourrait travailler sur le sens de l’effort, le dépassement de soi, voilà, alors on va travailler plutôt sur ces caractères individuels là. Et ça, ça va nous aider à mieux récupérer une fatigue, à avoir le sentiment de pouvoir poursuivre un effort plus longtemps, à mieux récupérer entre des efforts éventuellement, voilà, ou à compenser peut-être parfois ou ponctuellement un manque de sommeil. Voilà, on va trouver des situations comme ça, qui peuvent être intéressantes à travailler, mais qui relèvent davantage de l’individu, moins de la situation et du mouvement.

Caroline : Pour compenser un manque de sommeil par exemple, qu’est-ce que tu peux mettre en place ?

Aymeric : On pourrait mettre en place, alors c’est ponctuel, attention, l’idée, ce n’est pas pousser…

Caroline : Oui, complètement.

Aymeric :… mais on pourrait mettre en place, par exemple, une forme d’imagerie dynamisante ou d’imagerie de, voilà, on récupère un peu de tonicité donc voilà, une sorte de conditionnement encore une fois, puisqu’on travaille sur la personne à nouveau, une forme de conditionnement à avoir le tonus qui est nécessaire pour faire face à la situation, avoir l’éveil physiologique, l’état de vigilance qui est un peu plus élevée ou qui est un peu plus dynamique, et on pourrait tout à fait coupler ça avec des petits exercices de respiration activatrice, par exemple, avec voilà, d’autres formes assez ponctuelles comme ça, qui permettent de remonter l’éveil physiologique, remonter l’état de vigilance de la personne, et finalement de lutter un peu plus efficacement ou de manière un peu plus indirecte sur le manque de sommeil, ou la fatigue qui est générée, un manque de sommeil ou… Voilà, c’est des petits outils comme ça qu’on peut utiliser qui sont intéressants.

Caroline : OK, c’est super clair. Est-ce que pour finir notre enregistrement, si tu avais un hack ou une astuce à donner aux auditeurs pour leur quotidien ? Vraiment, ta recette, ta petite astuce pour être un petit peu plus performant au quotidien, ce serait laquelle ?

Aymeric : Ça, c’est une question qui n’est pas évidente, parce qu’il y en a plein des petits outils. Alors, je dirais honnêtement, mais comme j’ai déjà développé, je prendrai un autre exemple après, mais le, ce principe d’association/dissociation, moi je le trouve vraiment intéressant, vraiment au quotidien parce qu’il est instantané, il peut se faire un peu plus sur la durée c’est-à-dire qu’on peut l’utiliser de manière instantanée, mais aussi l’apprivoiser et le contrôler sur quelque chose d’un peu plus long. On peut vraiment le manipuler et, et en même temps c’est quelque chose qui est hyper transversale et qui s’applique à toutes les situations qu’on est amené à vivre. Donc voilà, ça peut aussi bien être utile qu’éviter que la personne elle bascule dans un état positif, plutôt négatif parce que positif il faut rechercher, donc je pense que vraiment ça, peut-être sur les différents outils ou exercices, où il n’y a pas en plus de choses à construire, c’est vraiment un principe, voilà, déjà de l’avoir à l’esprit et de s’y familiariser, je pense vraiment que c’est, c’est quelque chose d’intéressant. Après il y a un autre élément, alors ce n’est pas de l’imagerie pour le coup, mais je trouve que c’est un exercice qui est hyper intéressant et qui s’en rapproche parce que malgré tout, c’est des choses qui sont liées, c’est que parfois les… on dit souvent aux personnes d’essayer de revenir à l’instant présent, essayer de trouver un moyen d’être dans l’instant, voilà de ne pas se laisser partir dans ses pensées, de ne pas alimenter notamment les pensées anxiogènes ou les doutes, et cetera, et de revenir sur l’instant présent. Sauf que, c’est très abstrait, et c’est très difficile à faire, concrètement. Et puis au-delà de ça, dès qu’on se dit OK, mais qu’est-ce qu’il y a dans l’instant présent et qu’on rentre dans le raisonnement, on en sort, l’instant présent, donc c’est super, hyper inconfortable, et en fait, il y a une situation finalement ou quand on fait… tout le monde est dans l’instant présent. C’est de temps en temps de se dire « OK, là je vais prendre une immense respiration, peut-être deux ou trois respirations, et je vais respirer comme si c’était la toute première fois que je respirais de ma vie. Comme si je découvrais finalement ce que c’était que le fait de remplir les poumons d’air, de vraiment prendre tout ce qu’il y a à prendre et d’être vraiment centré sur qu’est-ce qui se passe au moment où je fais ça, en termes de sensations ». C’est instantané, ça dure une demi-seconde ou deux secondes si on prend un, deux, trois cycles respiratoires. Et en fait, quand on est concentré là-dessus, on arrive à se couper de tout le reste. Je trouve que c’est intéressant et parfois il est suffisant pour, voilà, quand on commence à être envahi de pensées, de doute, de voilà, quand on commence à partir un petit peu à être dans tous les sens, on prend juste quelques secondes pour, pour respirer, un peu comme si c’était la toute première, je ne vais pas dire la toute dernière, parce que ça fonctionnerait aussi, mais c’est mieux la toute première, respiration qu’on avait, et vraiment on prend une très grande inspiration et on se centre sur « Qu’est-ce qui se passe ? ». Ce qui se passe, voilà, « Qu’est-ce que je ressens à ce moment-là ? » Et ça, ça nous force entre guillemets à vraiment être dans l’instant présent et à se couper de tout ce qui se passe. Et quelque part, si je fais un lien avec l’imagerie, ce n’est pas vraiment de l’imagerie pour le coup, ce n’est pas de la visualisation, mais on s’oriente sur le contrôle des sensations corporelles, et ça, on le retrouvera dans l’imagerie par la suite ; c’est-à-dire que si on arrive à se centrer vraiment sur « Qu’est-ce que je ressens ? », « Qu’est-ce que j’ai au niveau du corps ? », quand on va commencer à travailler pour le manipuler, pour chasser les manifestations physiologiques du stress comme la boule au ventre, la gorge serrée, l’oppression dans la poitrine, on va arriver à s’éduquer en quelque sorte, à jouer sur les tensions, relâchement et sur ces sensations-là au niveau corporel. Donc c’est peut-être une porte d’entrée, à faire ce type d’exercice là par la suite.

Caroline : parfait. Excellent exemple. J’aime beaucoup. Merci Aymeric. Je pense qu’on a fait un bon tour. Je ne sais pas si jamais il y a des éléments que tu souhaites rajouter, mais on a plutôt découpé aussi bien sur la compréhension des outils pratiques avant- pendant-après, donc le ton me semble plutôt bon…

Aymeric : Oui, un bon tour de la question. Puis après, il y a plein de ressources qui sont disponibles pour les personnes qui sont intéressées…

Caroline : Oui, écoute, avec plaisir. Est-ce que tu en aurais une ou deux à recommander ?

Aymeric : Non, alors non, pas véritablement, parce que d’une part, je ne veux pas faire de la promotion personnelle…

Caroline : Si tu peux.

Aymeric :… d’autant que le bouquin n’est plus disponible, il n’est plus édité, donc de toute façon les personnes ne le trouveront plus. Mais, j’allais dire en fait, il faut aller rechercher en fonction de l’objectif qu’on va viser. Comme il y a vraiment des perspectives d’application qui sont très différentes, on a évoqué plusieurs, le fait de partir sur le mouvement, sur la performance, ce n’est pas du tout la même chose qu’on va faire que quand on veut partir sur les émotions, sur la confiance en soi par exemple. Donc, je dirais que peut-être il faut définir ou avoir à l’esprit « Qu’est-ce que je veux rechercher, pour ce type de travail là, et quelle est vraiment la perspective d’application que je veux développer ? ». Et à partir de là, il y aura certainement des sources un peu plus spécifiques à ça qu’on pourra identifier, qu’on pourra trouver. Mais il n’y en n’a pas une qui va vraiment faire le tour de la question, ou reprendre un peu tous ces éléments-là et les resituer comme on l’a fait donc, je pense que voilà ; peut-être le temps de cogiter un peu tous ces éléments-là, il y a des choses qui vont parler plus que d’autres probablement aux auditeurs et aux auditrices. Et en fonction de ça, peut-être aller chercher des informations un peu plus spécifiques, des outils un peu plus développés.

Caroline : Super. Merci beaucoup !

Aymeric : Merci à toi !