Transcription - Episode 14

Transcription

Jérôme Palazollo - Thérapies cognitives et comportementales, faites de votre esprit une machine à performance - #14

Caroline : Jérôme Palazzolo, si je ne dis pas de bêtise et que je le dis bien. Psychiatre, psychothérapeute, chercheur au Laboratoire d’anthropologie et de psychologie clinique, cognitive et sociale, à Nice.

Jérôme : Exactement.

Caroline : Enchantée Jérôme.

Jérôme : Bonjour !

Caroline : On va parler de thérapie cognitive et comportementale, et en attendant je vais vous laisser vous présenter.

Jérôme : Alors, donc comme vous l’avez dit, je suis médecin psychiatre et psychothérapeute, donc je suis spécialisé en fait en psychopharmacologie, donc c’est les médicaments qu’on va prescrire en psychiatrie et également en thérapie comportementale et cognitive.

Caroline : Super ! Est-ce que vous pouvez me dire un petit peu ce que c’est les thérapies comportementales et cognitives ?

Jérôme : Alors exactement. En fait, les thérapies comportementales et cognitives, comme leur nom l’indique, vont s’intéresser à une dynamique cognitive, c’est-à-dire tout ce qui va concerner les processus de pensée ; et également une dynamique comportementale, c’est-à-dire ce qu’on va faire, ce qu’on va mettre en œuvre. Alors en fait, ce sont des thérapies qui représentent l’application de la psychologie scientifique à la clinique. Alors ça peut paraître pompeux comme ça…

Caroline : Un peu.

Jérôme :… mais, qu’est-ce que ça veut dire ? En fait, ça veut simplement dire que dans une démarche scientifique, on va élaborer une hypothèse, tester cette hypothèse, évaluer les résultats. Et c’est exactement ce qu’on va faire en thérapie comportementale et cognitive ; c’est-à-dire qu’on va avoir affaire à des patients qui vont venir nous présenter un problème spécifique, on va leur proposer des manières de gérer ce problème, concrètes, pratiques, et tout au long de la thérapie, on va évaluer les résultats. Donc c’est pour ça que ce sont des thérapies essentiellement brèves. Alors après c’est relatif, ça dépend du type de pathologie auquel on a affaire. Mais ce sont des thérapies qui sont limitées dans le temps, avec un objectif, et avec une démarche qui moi m’intéresse particulièrement, qui est une démarche collaborative avec la personne, c’est-à-dire qu’on travaille vraiment en équipe. On n’a pas affaire à quelqu’un qui va faire le travail tout seul, on n’a pas, nous, à faire le travail tout seul, on travaille vraiment en collaboration avec la personne. Et moi, souvent, ce que je dis aux patients, c’est que, on va se donner un peu l’idée que lui est un sportif de haut niveau qui doit préparer les championnats du monde, et moi je vais être son coach, qui va le préparer à ces championnats du monde. Et je vais vous dire, alors ça peut prêter à sourire quand je dis les championnats du monde, mais je vous assure que quelqu’un qui reste enfermé chez lui depuis des mois parce qu’il ne peut pas sortir, parce qu’il est angoissé, le jour où la personne arrive à aller faire ses courses dans un grand centre commercial, je vous assure qu’en face de moi, j’ai le champion du monde toutes catégories quoi.

Caroline : Complètement, complètement. Et comment du coup ça fonctionne, puisque c’est donc l’impact cognitif sur le cerveau de manière générale, et le comportement de l’individu au quotidien, quel est le lien entre les deux ?

Jérôme : Alors en fait, là on va reprendre un peu l’historique des TCC ; c’est-à-dire qu’en fait, ces thérapies, elles se sont faites, elles se sont mises en œuvre selon plusieurs vagues. Donc il y a eu une première vague dans les années soixante, qui a été la vague comportementale, c’est-à-dire que là on s’est vraiment intéressé au comportement et à tout ce qu’on appelle les processus d’apprentissage. Alors entre autres, c’est souvent ce qui est reproché à ce type de thérapie, c’est-à-dire qu’on dit oui, vous faites des TCC — on dit comme ça, thérapie comportementale et cognitive — vous faites des TCC, donc en fait, vous appliquez les règles de Pavlov, vous savez Pavlov, c’était le chien, où en gros vous prenez un chien, vous lui donnez à manger, il salive ; associé à ça, vous faites tinter une cloche, et au bout de quelque temps, le simple fait de faire tinter la cloche, le chien a appris qu’il allait manger, donc il salivait au son de la cloche. Donc ça, c’est vrai, c’était la première vague des thérapies comportementales et cognitives, donc la vague comportementale, où avec ça, on a expliqué certaines pathologies. Par exemple, je vous donne un exemple, si à chaque fois qu’il y a un orage vous voyez vos parents qui ont peur, qui ferment les volets, qui se planquent sous le lit, vous allez apprendre que quand il y a l’orage, c’est quelque chose d’anxiogène, et vous allez vous sentir angoissé à chaque orage. C’est très résumé, mais c’est un peu ça. Donc cette première vague, elle a été très intéressante parce que justement, ça a permis d’expliquer certaines pathologies et de proposer, une prise en charge spécifique, on pourrait revenir, dans certaines techniques par rapport à ces pathologies. Et puis dans les années 80, on s’est aperçu quand même qu’il n’y avait pas que le comportement qui rentrait en ligne de compte, mais également toute une partie cognitive, c’est-à-dire des processus de pensée qui rentraient en ligne de compte dans ce cadre-là. Donc on s’est intéressé justement à certains processus de pensée, et les liens qu’il pouvait y avoir entre les pensées, le comportement et les émotions. Et ça, ça a été vraiment l’approche des thérapies cognitives avec quelqu’un qui s’appelle Beck, qui est un psychologue qui travaille aux États-Unis et qui effectivement a amené toute une part justement cognitive. Et puis, depuis les années 90, on est maintenant dans la troisième vague des TCC, qui est la vague émotionnelle ; c’est-à-dire que dans ce cas-là, on va travailler essentiellement dans le cadre de la gestion des émotions pour essayer de proposer des stratégies pour arriver à mieux gérer les émotions et ne pas être systématiquement dans la gestion des pensées ou la gestion des comportements. Voilà, on est un peu dans ce cadre-là. Et, à chaque fois, il y a des méthodes qui sont proposées. Des méthodes qui ont été, comme on disait, évaluées scientifiquement, puisque c’est ça qui est intéressant, dans les thérapies comportementales et cognitives, et émotionnelles d’ailleurs, puisqu’avec la dernière vague maintenant on parle vraiment de TCCE. Dans ces thérapies, tout ce qui est proposé a été évalué selon des critères scientifiques. Donc on amène une hypothèse, on évalue, on évalue les résultats, etc. Et ce qui est très intéressant aussi, je trouve, pour les thérapeutes et les chercheurs en TCC, c’est qu’on est tout le temps en train de se remettre en question. C’est-à-dire qu’on ne tient jamais les choses pour acquises, c’est-à-dire que si ça ne marche pas, on essaie de voir pourquoi ça n’a pas marché, comment faire pour améliorer les choses et on se cale vraiment en fonction de la pathologie du patient et du problème qu’il va nous amener. Et finalement, ce sont des techniques en fait, un petit peu de résolution de problèmes en quelque sorte.

Caroline : OK. Et comment concrètement ça se passe quand il y a un patient ? Parce que donc c’est du cas par cas, si je comprends bien, quand un patient vient, et comment on peut mettre ça en place et est-ce qu’on peut, nous, déjà, avoir une pratique un peu au quotidien pour prendre conscience de nos réactions, nos comportements, nos émotions par rapport à ce qu’on a au quotidien ?

Jérôme : Bien sûr, alors il y a deux choses à distinguer. Il y a d’un côté, la thérapie en elle-même, là, on ne peut pas faire tout seul, effectivement, il faut s’adresser à un thérapeute qui a été formé. D’ailleurs, petite parenthèse, les thérapeutes cognitivo-comportementalistes ont été formés à l’université, c’est-à-dire que c’est un diplôme universitaire, ce n’est pas quelque chose, voilà, on va former les thérapeutes en un week-end, c’est vraiment quelque chose, c’est une formation qui dure en général deux ans, plus une troisième année de supervision, plus après des supervisions régulières, donc voilà, c’est pour dire qu’on ne s’intitule pas thérapeute TCC comme ça. Donc ça déjà la première chose, si vraiment on a besoin d’une thérapie pour une pathologie spécifique, il faut voir un thérapeute. Maintenant…

Caroline : Dans le cas d’une pathologie spécifique, par exemple, juste pour un exemple de pathologie, à quelle pathologie on peut penser ?

Jérôme : Tout ce qui va être phobie, tout ce qui va être dépression, tout ce qui va être troubles des conduites alimentaires, trouble de personnalité, on peut même retrouver des pathologies plus lourdes, comme la schizophrénie. Alors schizophrénie, attention, ça se traite avec des médicaments, mais par contre tout ce qui va être ce qu’on appelle les habiletés sociales, les capacités de remédiation cognitive, mais il y a des spécificités qui peuvent être travaillées en thérapie comportementale et cognitive. Donc tout ça voilà, là on s’intéresse vraiment à la pathologie. Et, si on souffre d’une pathologie, c’est bien d’avoir un thérapeute, et d’ailleurs, ça n’empêche pas d’avoir un traitement prescrit par ailleurs, ce n’est pas exclusif. Et puis deuxièmement, il y a les grands principes des TCC qui peuvent être utilisés, on va dire au quotidien, par nos auditeurs, sur des petites techniques, des petites stratégies pour arriver à améliorer finalement leur quotidien. C’est-à-dire que, là, je vous ai parlé des vagues de TCC, et cetera, alors on a l’impression que les TCC elles ont été inventées dans les années 60, ce qui est vrai. Mais finalement, si on regarde un petit peu la littérature, les premiers à parler de TCC, c’était certains philosophes stoïciens, qui étaient à peu près dans les 100-150 ans après Jésus-Christ, entre autres Marc Aurèle, Epictète, et cetera, qui expliquaient que, ce qui pose problème, ce n’est pas une situation spécifique, c’est la manière dont on interprète la situation. Vous savez, c’est le fameux proverbe « Plutôt que de se cacher de la pluie, vaut mieux apprendre à danser sous la pluie ». C’est un peu ça, c’est-à-dire qu’on peut avoir un problème spécifique et l’aborder de manière différente. Alors ça ne veut pas dire que, tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil et toutes les catastrophes qui arrivent on va en rigoler, ce n’est pas ça du tout, mais le but c’est d’arriver justement à travailler sur notre manière d’interpréter cette réalité environnante, sur la manière de gérer nos propres émotions face à cette réalité, et sur la manière dont on va se comporter face à cette réalité.

Caroline : Et pourquoi, quels sont les résultats ? Ce qui m’intéresse vraiment, c’est de rentrer dans l’aspect scientifique de ce qui a été découvert, comment on a découvert tout ça, quels ont été les résultats ? En fait, par rapport au changement de ces comportements, enfin, c’est assez dingue, on va dire, de se dire qu’on arrive à transformer notre cerveau quelque part, pour associer un comportement différent, une émotion différente et donc réussir à changer notre perception des choses.

Jérôme : Alors en fait, ce n’est pas dingue du tout, c’est-à-dire que, je vous donne un exemple. Vous allez faire une tarte aux pommes ; dans la tarte aux pommes, vous allez mettre du sel, à priori, ça ne va pas être très bon ; il y a quelqu’un qui va vous dire « Écoutez, ça serait bien de mettre du sucre. » ; vous allez mettre du sucre, et vous allez trouver ça très bon ; la fois d’après, qu’est-ce que vous allez faire ? Vous allez mettre du sucre. C’est une dynamique d’apprentissage, c’est-à-dire qu’en gros, on travaille dans ces TCC, justement sur l’apprentissage de nouveaux comportements, l’apprentissage d’une nouvelle manière, ou d’une autre manière de penser ; et en fait, tout naturellement, parce que soyons clair, on n’est pas tous autant qu’on est spécifiquement maso, à partir du moment où on vous propose une manière de fonctionner, une manière de penser qui est plus adaptée que celle que vous aviez auparavant, petit à petit, vous allez apprendre que cette nouvelle manière est plus adaptée pour vous et vous allez l’adopter. Alors après, quand on disait les évaluations, il existe ce qu’on appelle des échelles d’évaluation ; c’est-à-dire ce sont des questionnaires qui eux aussi ont été validés scientifiquement selon des méthodes pour le coup statistiques, et cetera, bien spécifiques.

Caroline : Oui, c’est ce que j’allais dire. Le gros problème, c’est que c’est déclaratif donc, difficile d’analyser, si ça reste sur du déclaratif en tout cas.

Jérôme : Ça reste toujours déclaratif. Mais justement, on revient à ce que je disais tout à l’heure ; c’est-à-dire qu’on travaille en collaboration avec la personne ; c’est-à-dire que là, c’est peut être une limite de la TCC, mais c’est limite de toutes les thérapies, si vous avez quelqu’un qui vient vous voir et qui ne vous raconte pas la vérité ou qui cache des choses, ou qui minimisent ou quoi que ce soit, volontairement j’entends, parce qu’on a toujours aussi des biais en particulier, effectivement, la thérapie ne fonctionnera pas, mais que ce soit la TCC comme toute autre thérapie, donc en fait, ce sont des questionnaires, ces échelles d’évaluation que le thérapeute peut remplir. C’est ce qu’on appelle une hétéroévaluation, c’est-à-dire qu’il va poser la question aux patients sur sa qualité de vie, sur sa manière de fonctionner sur des choses assez spécifiques, et il va coter ça ; ou alors, il peut y avoir des échelles d’auto-évaluation, c’est-à-dire c’est le patient qui va coter certains symptômes, certains éléments, et cetera dans ce cadre-là. Par exemple, « Est-ce que vous avez eu des idées suicidaires ? Oui, non », « Combien de fois par semaine ? », « Est-ce que c’est récurrent ? Est que ce n’est récurrent ? », « Quelle est leur intensité ? », et cetera et cetera. Alors attention, ces échelles, ce ne sont absolument pas des échelles de diagnostic, c’est-à-dire qu’on n’a pas quelqu’un en face de nous, et puis on va lui dire « Tiens, je vais lui faire passer une échelle de dépression, une échelle d’anxiété, une échelle de qualité de vie. Et puis, en fonction de ce qu’il en ressort, je vais faire mon diagnostic ». Le diagnostic est avant tout clinique, sur des critères bien spécifiques, mais ensuite on va évaluer l’intensité des symptômes, et tout au long de la thérapie, on va réévaluer à certains moments, l’intensité des symptômes pour voir si ce qu’on fait fonctionne ou pas. Par exemple, je vous donne un exemple de dépression ; quelqu’un qui vient, on fait le diagnostic de dépression, on va lui faire passer une échelle, qui s’appelle l’échelle d’Hamilton par exemple. Eh bien avec un certain score, peut-être que la personne va coter très fort en début de thérapie, au bout de cinq-six séances, elle va coter beaucoup moins fort, et en fin de thérapie elle va coter comme on coterait tous normalement. Donc voilà, ça, c’est un moyen d’évaluation. Après il y a l’évaluation clinique, c’est-à-dire le fait que le praticien, c’est pour ça qu’il faut avoir affaire à de vrais thérapeutes, à de vrais praticiens, psychologues, psychiatres, en tout cas des gens qui sont formés, de personnel de soins, à ce moment-là, qui vont être capable d’évaluer cliniquement l’état de la personne et l’évolution de la personne.

Caroline : Et si on rattache ça maintenant à quelque chose de vraiment plus pratique, hors pathologie. Est-ce qu’on peut rentrer un petit peu dans l’intérêt des TCC dans le quotidien d’une personne ?

Jérôme : Alors, bien sûr. En fait, comme je disais, ce n’est pas une véritable TCC, mais en tout cas, ce sont des outils. Sachant que même les thérapeutes en fait, ils ne font pas des TCC au sens large ; c’est-à-dire qu’ils vont utiliser certains outils spécifiques dans ce cadre-là. Alors déjà, première chose, pour nos auditeurs justement, le but, c’est au départ de savoir à quoi on a affaire. C’est-à-dire que la première question à se poser, c’est d’essayer de déterminer un petit peu la problématique à laquelle on a affaire ; c’est-à-dire, est-ce que votre problème, c’est un problème d’anxiété au quotidien, est-ce que vous vous sentez angoissé, sans qu’on soit dans la pathologie.

Caroline : Oui, oui, complètement.

Jérôme : En gros voilà, vous vous sentez angoissé, est-ce qu’on est dans un contexte, ça, c’est très courant, d’anxiété, de performance, sur le fait, voilà, d’être bon au boulot, d’être bon à ses examens, d’être bon au lit, d’être bon, voilà tout le temps. On est dans une société qui nous pousse un petit peu à ça. Est-ce qu’on est dans des troubles du sommeil ? Est-ce qu’on est, voilà, dans des phobies spécifiques ? Donc déjà, savoir à quoi on a affaire. Parce que si vous utilisez un outil TCC, mais qui n’est pas adapté à ce que vous avez, ça ne va rien vous apporter du tout, c’est normal. Si j’ai un problème, je n’en sais rien, moi, ma voiture, que j’ai crevé un pneu et que je fais le plein d’essence, ça ne marchera pas. Donc le but c’est d’arriver à déterminer un petit peu ce qu’il en est. Et puis ensuite, en fonction de ça, de choisir des outils, choisir une stratégie qui peut vous convenir et qui peut vous permettre de vous améliorer. Alors, prenons un exemple précis ; vous ressentez une certaine anxiété dans certaines situations particulières, sans parler de diagnostic particulier, mais bon voilà, par exemple, vous prenez le tram, vous vous sentez angoissé, vous êtes dans les grands magasins, vous vous sentez angoissé, vous êtes dans un parking souterrain, vous vous sentez angoissé, donc le clinicien lui va dire « Ah ! Il y a peut-être un problème d’agoraphobie ». L’agoraphobie ce n’est pas la peur d’être enfermé, ce n’est pas la peur de la foule, comme on le pense, c’est la peur de faire un malaise dans un endroit où on ne peut pas être secouru tout de suite, ou alors la peur de faire un malaise dans un endroit où on ne peut pas s’extraire tout de suite.

Caroline : D’accord.

Jérôme : Bref, même si on n’est pas dans une agoraphobie spécifique, parfois il y a des personnes qui vont dire « Je n’aime pas prendre le tram parce que je me sens un peu serré, je me sens un peu angoissé, pas bien ». Eh bien, il y a des techniques qui peuvent être utilisées, qui sont des techniques très simples ; par exemple de relaxation rapide, c’est-à-dire que ce qu’on propose c’est des techniques utilisables par la personne en situation, c’est-à-dire que globalement si vous êtes dans le tram et vous commencez à faire de la méditation transcendantale et qu’il faut vous mettre en lotus et vous faire brûler de l’encens, ça va coincer dans le tram ; par contre, il y a une technique très simple qui s’appelle la respiration carrée, qu’on utilise souvent. Alors la respiration carrée, c’est très simple ; elle se base sur le principe que lorsqu’on est angoissé, on a notre rythme respiratoire qui s’accélère et notre respiration, alors on n’est pas essoufflé, mais notre respiration se met sur un mode qu’on appelle superficiel et inefficace, c’est-à-dire que le fait de respirer plus rapidement fait que, en résumé, l’oxygène ne va pas jusqu’aux poumons, donc en fait, on a beaucoup plus d’air qui circule au niveau des voies respiratoires supérieures, mais on n’a plus assez d’oxygène qui est dans les poumons.

Caroline : D’accord.

Jérôme : Donc ça veut dire qu’on n’a plus assez d’oxygène qui passe dans le sang, et, cette problématique qu’on va avoir, qui est un déséquilibre entre le taux d’oxygène et le taux de gaz carboniques dans le sang, va faire qu’on va avoir des réactions en chaîne, des organes qui vont souffrir de ce manque d’oxygène. Alors les premiers à souffrir de ça, ce sont les plus gros consommateurs, donc les muscles, et le muscle qui consomme le plus d’oxygène, c’est le cœur. Donc le cœur, s’il n’a pas assez d’oxygène, qu’est-ce qu’il va faire ? Il va pomper plus vite. Donc généralement, quand on est angoissé, on sent le cœur qui s’accélère, les autres muscles, eux aussi ils ont besoin d’oxygène, donc s’ils n’en ont pas assez, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont se contracter. Et c’est pour ça que quand on fait une grosse crise d’angoisse, en général, on a l’impression d’avoir fait cinq heures de gym, après, on est littéralement lessivé. On peut avoir des douleurs dans le cou, on n’a pas du tout de problème dans le cou, c’est juste les muscles paravertébraux qui se contractent. Les nerfs aussi ont besoin d’oxygène pour envoyer une bonne information, donc les informations que vont envoyer les nerfs ne sont pas adaptées. On va se mettre à suer, d’accord, on a beaucoup plus de sueur, on a les mains moites, on transpire beaucoup plus, on peut même avoir des petits vertiges, bref, tout ce qu’on connaît dans le cadre de l’angoisse, des crises d’angoisse qu’on peut avoir. Si nos auditeurs veulent tester, alors je leur déconseille qu’ils me croient sur parole, s’ils veulent tester le truc, ils font une hyper ventilation pendant deux minutes, et ils vont se rendre compte qu’ils vont avoir tous les symptômes de la crise d’angoisse : la tête qui tourne, les mains moites, le cœur qui bat vite, et cetera, et cetera. Donc, le simple fait d’accélérer la respiration fait qu’on peut déclencher une crise d’angoisse. Alors en fait, l’objectif, c’est dans cette respiration carrée, tout simplement de retrouver un rythme respiratoire adapté ; c’est-à-dire que là, comme je disais, c’est une technique un peu tout terrain, c’est-à-dire qu’on peut l’utiliser dans le tram, en voiture, en conduisant, et cetera, et cetera. Donc on ne va pas chercher à faire une respiration par le ventre, une respiration bloquée, des choses comme ça. En fait, on va respirer en quatre temps fois quatre : premier temps, on inspire avec le nez, on souffle avec le nez, normalement, respiration physiologique, premier temps, on va inspirer et pendant qu’on inspire, on va compter quatre ; deuxième temps, on bloque la respiration, on se met en apnée et pendant qu’on bloque, on compte quatre ; troisième temps, on souffle normalement par le nez et pendant qu’on souffle, on compte quatre ; et ensuite, on rebloque la respiration et on compte quatre ; et on refait ce processus. Et ce qui est pas mal aussi, c’est que quand on compte quatre, de compter un peu comme le font les secouristes, quand ils font le massage cardiaque, c’est-à-dire qu’au lieu de compter « un, deux, trois, quatre », on compte en faisant « et un, et deux, et trois, et quatre ». Pourquoi ? Parce que quand on est angoissé, notre pensée s’accélère. Et si on compte à ce moment-là, quand on est angoissé, on a tendance à faire un, deux, trois, quatre ; un, deux, trois, quatre ; un, deux, trois, quatre ; et on se remet en hyper ventilation. Et donc, en mettant en place cette petite technique toute simple, ça va induire quoi ? Ça va induire que quand vous inspirez, que vous comptiez jusqu’à quatre, ça laisse bien le temps à l’oxygène d’aller bien dans les poumons et de bien diffuser. Ensuite, vous bloquez votre respiration, vous comptez jusqu’à quatre ; ça laisse le temps aux échanges gazeux de se faire : vous avez de l’oxygène qui passe dans le sang et le gaz carbonique qui revient au niveau des poumons. Ensuite, vous soufflez, vous comptez jusqu’à quatre ; ça veut dire que là, vous laissez bien le temps à vos poumons, d’expurger complètement tout le gaz carbonique que vous avez pris. Et ensuite vous bloquez et vous comptez jusqu’à quatre, les poumons sont quasi vides, ça permet de remettre le système à zéro pour le prochain cycle respiratoire. Et si vous vous entraînez à faire ça, vous allez vous apercevoir qu’en l’espace d’à peu près cinq minutes, vous avez un retour au calme qui se met en place. Alors ce qu’on propose en thérapie, c’est de travailler ça en séance. Et puis, c’est quelque chose de spécifique aussi au TCC, on donne toujours aux patients des exercices à faire à domicile, ce qu’on appelle les tâches à domicile. Par exemple, le jour où on va travailler cette technique respiratoire, on va donner pour consigne aux patients de travailler cette technique cinq minutes chez lui tous les jours, à un moment où il est calme, pour que le jour où il se retrouve dans une situation anxiogène, cette technique, vienne tout de suite. Parce que si vous commencez à avoir l’angoisse qui monte, qui monte, qui monte et que vous commencez à vous poser la question, alors qu’est-ce qu’il faut que je fasse, que j’inspire, que je bloque, je souffle ? C’est déjà trop tard, et le tsunami de l’anxiété vous a emporté. Voilà déjà une première technique qui peut être utilisée. Alors là, on est carrément dans les techniques vraiment physiologiques et comportementales.

Caroline : Complètement.

Jérôme : Mais c’est quelque chose qui est important, parce que pour ceux qui ont des crises d’angoisse, ils savent très bien que le problème, c’est que quand on est face à une crise d’angoisse, on ne gère plus rien ; c’est-à-dire qu’on est littéralement emporté par cette anxiété, et rien que le fait de proposer aux patients un outil pour lui permettre de lutter contre l’angoisse et que lui se rende compte, n’oubliez pas, on est dans une dynamique scientifique, donc ça veut dire que le patient va tester les hypothèses. Donc il va tester le truc, il va voir que ça marche, mais déjà rien que ça, c’est énorme. Et puis le fait de lui expliquer aussi, parce qu’il y a toute une part en TCC de psychoéducation, c’est-à-dire qu’on explique ce qu’on fait, là ce que je vous ai expliqué sur cette histoire de respiration, on l’explique aux patients, alors en général en plus, avec un schéma à l’appui, schéma de l’arbre respiratoire et comme ça, déjà, il se rend compte qu’il n’est pas fou ; c’est-à-dire que cette crise qu’il a, c’est quelque chose effectivement de psychologique, mais essentiellement de physique, et que le fait de travailler sur la respiration, ça lui permet d’avoir une arme pour lutter contre ça. Donc ça veut dire qu’en gros il n’est pas victime de son anxiété, c’est un combat face-à-face quoi l’anxiété, l’anxiété qui arrive, lui il combat cette anxiété et en plus il va en sortir vainqueur. Donc là encore, dans la dynamique d’apprentissage, vous voyez, vous disiez pour changer un comportement, c’est très important, c’est-à-dire que plutôt que d’être dans un comportement d’évitement, c’est-à-dire, je dois prendre le tram pour faire cinq kilomètres et comme je suis anxieux à la perspective de prendre le tram, je vais marcher cinq kilomètres à pied, donc j’évite cette situation. Si j’ai une arme pour lutter contre ça, ça veut dire que je vais éviter d’éviter, et c’est ça qu’on va chercher à faire dans toutes les problématiques anxieuses et phobiques.

Caroline : D’accord. Et si on n’est pas sur, par exemple, un comportement anxiogène, est-ce qu’on pourrait avoir un petit, je ne sais pas, j’imagine vraiment une situation où, je sais qu’en ce moment j’ai des problèmes de concentration, par exemple au travail, ou j’aimerais… voilà, j’ai besoin un petit peu d’améliorer mon quotidien puisque je me sens stressée ou quoi que ce soit ; est-ce qu’on peut mettre en place des choses sans avoir forcément vraiment un point précis à aller travailler ? Juste une envie de bien être et de mieux être quotidienne.

Jérôme : Alors, bien sûr. Alors, voyez, on rejoint ce qu’on évoquait, alors c’est ce qu’on appelle en TCC l’analyse fonctionnelle. L’analyse fonctionnelle c’est, avant de se lancer dans une stratégie thérapeutique, il faut faire le diagnostic. Voilà, comme on disait, on ne va pas partir sur un diagnostic désadapté, si on n’a pas mis le doigt sur ce qui ne va pas. Je vous donne un exemple ; quelqu’un va venir me voir par exemple en consultation pour des problèmes d’alcool, si je me rue sur la gestion de l’alcoolisme alors qu’en fait cette personne ne boit que pour se sentir bien au travail, c’est-à-dire que c’est quelqu’un d’anxieux, qui a une anxiété de performance, et le verre de whisky lui permet d’être mieux, je vais me planter, ce n’est pas le problème d’alcool qu’il faut que je travaille, c’est l’anxiété de performance. Alors comme vous disiez, par rapport à ça, déjà, c’est de faire un peu le point, c’est-à-dire de voir quelqu’un qui va au travail et qui se sent mal au travail, pourquoi il se sent mal au travail ? Est-ce que le travail ne lui plaît pas ? Est-ce qu’il y a un stress majeur lié au boulot, aux tâches à faire ? Est-ce qu’il a un supérieur hiérarchique qui lui met une pression pas possible ? Est-ce qu’il a du mal à s’affirmer par rapport à ses collègues, etc ? Voilà, dire que je ne suis pas bien au travail, ça ne suffit pas. Il faut déjà arriver à déterminer ce qui ne va pas. Si par exemple la personne a du mal à s’affirmer, c’est-à-dire on est dans un stress, comment on disait, plutôt d’anticipation, une anxiété de performance, voire peut-être même, dans la pathologie cette fois, une phobie sociale, c’est possible aussi. Dans ce cas-là, on va travailler en TCC, principalement des techniques d’affirmation de soi, c’est-à-dire qu’on va essayer, toujours pareil, déjà on va gérer l’anxiété par la technique respiratoire là qu’on a vu, ça peut être bien. Et puis on va travailler, alors pour le coup toujours sur l’aspect comportemental, par le biais de jeu de rôle dans ce cas-là, ça peut être intéressant ; c’est-à-dire qu’on va faire des jeux de rôle avec la personne où on va la mettre dans des situations problématiques. Alors les jeux de rôle ça peut se faire en face-à face avec le patient, mais souvent ça se fait plutôt en groupe, donc c’est plutôt dans des institutions qu’on fait ça, ce n’est pas trop en cabinet en général, il y en a, j’ai des collègues psychologues qui le font, mais en général c’est plutôt dans des institutions, à l’hôpital ou en hôpital de jour, et cetera, on va constituer un groupe et on va faire des jeux de rôle. Donc en général il y a le thérapeute, alors souvent c’est deux thérapeutes, il y en a un qui gère un peu le groupe et puis l’autre qui fait le jeu de rôle. Et puis il y a un des thérapeutes qui va prendre un patient volontaire ou au hasard, et qui va jouer une scène qui peut poser problème ; alors dans le premier temps, généralement, c’est le thérapeute qui va donner le modèle, et là, on revient sur des stratégies utilisées en TCC, et en particulier une stratégie d’apprentissage qu’on appelle l’apprentissage social. L’apprentissage social c’est, vous voyez quelqu’un qui a un comportement adapté, vous allez avoir tendance à reproduire ce comportement. Donc le thérapeute va montrer le bon comportement, alors un truc tout bête, c’est : on va jouer une scène où vous allez dans un grand magasin ramener une robe parce que vous avez acheté la robe et qu’elle n’est pas à votre taille. Quelqu’un qui a une phobie sociale ou une anxiété majeure, il ne va jamais le faire ça. Donc on va travailler ça. Alors le thérapeute va expliquer sur tous les processus de communication, c’est-à-dire la gestuelle, la soutenance du regard, la manière dont la personne va parler d’une manière audible, et cetera, ce qu’elle va dire, attirer l’attention du vendeur « Excusez-moi. Bonjour ! Est-ce que je peux vous parler », enfin voilà, ce genre de choses. Et il va souvent découper un comportement en sous-séquence ; peut-être la première séquence, ça va être de dire je rentre dans le magasin, je dis bonjour à la vendeuse, je me présente et j’explique mon problème, et puis, après on verra la suite pour changer le produit, réessayer, et cetera, et cetera. Et donc on va faire ce jeu de rôle. Ensuite, il y a inversion des rôles, c’est-à-dire c’est le patient qui est amené à jouer le rôle de la personne qui va demander, et ensuite, eh bien, il y a un tour de table qui est fait, où chacun donne son avis sur la manière dont ça s’est passé, en ayant reçu des consignes auparavant, c’est-à-dire que l’avis doit toujours être bienveillant, parce que vous imaginez bien que quelqu’un qui stresse et qui est angoissé, si on lui dit « mais tu as fait n’importe quoi », ce n’est pas génial. Et donc là, on va travailler, toujours dans le principe des TCC, dans ce qu’on appelle du renforcement positif : « tu as bien fait, je te félicite, c’est génial ». Maintenant, on va continuer dans ce cadre, on va continuer une autre séquence, et cetera, et cetera. Donc ça, c’est des techniques qu’on appelle techniques d’affirmation de soi. Et puis, on peut avoir aussi des petites fiches à remplir, et ça, nos auditeurs ils peuvent même s’entraîner chez eux s’ils veulent, sur ce qui est très utilisé en TCC, c’est la fiche de Beck. Alors, qu’est-ce que c’est que la fiche de Beck ? Beck, on en parlait tout à l’heure, c’est un des pionniers de la deuxième vague des TCC, donc la vague cognitive. Et en fait cette fiche de Beck, c’est une fiche à plusieurs colonnes. Première colonne, on va noter la situation, dans cette colonne, vous allez noter des situations qui vous posent problème, qui vous ont posé problème, mais réels, du quotidien ; si vous notez, je suis mal à l’aise quand je me retrouve dans un sous-marin par huit cents mètres de fond à priori. Moi, je n’ai jamais fait, donc voilà, c’est à voir ; mais globalement voilà, des situations du quotidien qui vous posent problème. Deuxième colonne, vous notez les émotions ; qu’est-ce que vous ressentez dans ces situations ? Troisième colonne, vous allez noter les pensées automatiques ; alors les pensées automatiques, c’est quoi ? Ce sont des pensées qui s’imposent à vous dans la situation problématique, et ces pensées ne sont pas du tout raisonnées ; je vais vous donner un exemple après, mais c’est ce qui vous vient en tête à ce moment-là ; et ces pensées sont en fait à l’origine des émotions. Et une fois que vous avez déterminé ces pensées automatiques, vous allez faire une autre colonne à côté où vous allez noter là-dedans les pensées alternatives ; alors c’est quoi ces pensées alternatives ? Ces pensées alternatives ce sont des pensées raisonnées cette fois, des pensées adaptées, c’est-à-dire que ce simple petit exercice qui peut sembler tout bête à faire, déjà dans un premier temps, ça va vous permettre de faire la différence entre les émotions et les pensées. Parce que des fois, vous posez la question à quelqu’un, « Qu’est-ce qui vous arrive ? J’ai peur » ; mais OK, « Vous pensez quoi à ce moment-là ? Je ne pense rien ». Et non, si vous avez peur, c’est que vous pensez à quelque chose, obligatoirement ; on n’a pas une peur comme ça qui survient, sans rien. Et donc, ça va permettre de faire la différence. Et puis, ça va permettre d’identifier ces fameuses pensées automatiques, et les remettre en question. Je vous disais tout à l’heure qu’on est dans une dynamique quasi sportive ; si vous devez vous préparer à une compétition, il va falloir que vous vous entraîniez pour ça, et ça, c’est un entraînement de la pensée. C’est-à-dire un peu comme par exemple, dans les arts martiaux, dans les arts martiaux, vous allez vous entraîner dans le vide à faire des blocages, des blocages, des blocages ; et puis le jour où vous avez un coup qui vient, le blocage il va partir tout seul et vous allez bloquer le coup. Souvenez-vous de karaté kid, c’est exactement ça ; pendant qu’ils lissent la palissade, en gros là il fait ses blocages et puis le jour où il prend un coup, il arrive à bloquer. C’est exactement ça, c’est-à-dire ce travail sur les colonnes, ça va permettre de travailler une nouvelle manière de penser qui est de remettre en question ces pensées automatiques. Alors je vous donne un exemple.

Caroline : C’est ce que j’allais vous demander.

Jérôme : Là, on est à mon cabinet, je suis au quatrième étage, vous voyez juste derrière vous, vous voyez un balcon. Alors, situation : j’ouvre la fenêtre et je me mets sur le balcon ; émotions : peur, stress, angoisse, terreur. Pourquoi j’ai ces émotions ? Troisième colonne, parce que j’ai des pensées automatiques qui me disent « Je suis au quatrième étage, je vais tomber, je vais m’écraser en bas ». Si maintenant je mets ma quatrième colonne, les pensées alternatives, je vais me dire « Il n’y a pas de raison que je m’écrase en bas parce que déjà le balcon, il est solide, que la rambarde elle est bien attachée, qu’il n’y a pas un vent à décorner les bœufs donc je ne risque pas de m’envoler, que je n’ai pas de pulsions particulières à sauter par-dessus la rambarde », et cetera, et cetera. Vous voyez un peu le principe, c’est-à-dire que, à partir du moment où on a peur de quelque chose, on a automatiquement des pensées automatiques qui se créent, qui sont à l’origine de ces peurs.

Caroline : Mais ça peut être difficile de se rendre compte, premièrement, de ses émotions, et deuxièmement, de quelle pensée nous a amené à avoir cette émotion.

Jérôme : Complètement. C’est tout l’intérêt de ce travail-là ; c’est-à-dire que ce travail dont on va le travailler avec les patients en séance, et puis ensuite, on va leur proposer chez eux, de noter des situations qui leur ont posé problème auparavant, et d’essayer de réfléchir à ça. C’est-à-dire bien sûr, c’est difficile, c’est tout l’intérêt de travailler ça à froid. On va dire, pour pouvoir après le mettre en application immédiatement, parce que là encore, il y a un processus d’apprentissage, plus on travaille cet exercice et plus on le met en place facilement. En gros, je me dirige vers le tram, houlala, j’ai l’angoisse, donc finalement j’évite le tram, et mon angoisse s’apaise. Qu’est-ce que j’ai appris ? J’ai appris le fait que le meilleur moyen d’apaiser mon angoisse, c’est de ne pas prendre le tram. Par contre, si je commence à réfléchir, mais pourquoi j’ai peur ? J’ai peur parce que si je rentre dans le tram, je risque de faire un malaise, ça ne va pas aller, et cetera, et finalement, je mets en place mes pensées alternatives : je n’ai pas de raison de faire de malaise, à savoir, j’ai bien mangé, je n’ai pas une hypoglycémie ; j’ai bien bu de l’eau donc je ne risque pas de faire de déshydratation et de faire un malaise vagal ; il y a de la place assise, donc je ne vais pas non plus rester debout, donc je m’assois, je n’ai pas de raison de faire de malaise ; je fais attention à ma respiration carrée et je respire pour ne pas justement engager de troubles d’angoisse spécifiques ; je reste concentré sur moi ; je travaille éventuellement si, je suis amené à le faire sur de la méditation de pleine conscience, pourquoi pas ? Si je suis assis tranquille et que je me concentre, je ferme les yeux, et cetera, voilà. Et dans ce cadre-là, j’arrive à affronter la situation. Finalement, je sors du tram et je m’aperçois que tout s’est très bien passé. Et à partir de là, j’apprends que je suis plus fort que l’anxiété, je suis plus fort que mes pensées automatiques et que, à partir de là, la prochaine fois où je prendrais le train, ça se passera très bien !

Caroline : Je comprends très bien la notion d’apprentissage, mais qu’est-ce qui se passe au niveau de notre cerveau en fait ?

Jérôme : Alors, ce qui se passe au niveau de notre cerveau ? Il y a plusieurs choses. Déjà, il y a des zones spécifiques du cerveau qui sont impliquées dans nos réactions pathologiques. Alors essentiellement, il y a plusieurs zones. Vous avez une zone qui est dédiée à l’aspect émotionnel, ce qu’on appelle l’amygdale temporale ; l’amygdale temporale, c’est un peu l’alarme de la maison : si l’alarme de la maison est déréglée, dès que vous avez une mouche qui passe, l’alarme se déclenche ; ça, c’est les amygdales, c’est l’amygdale temporale. Ensuite, vous avez une zone du cerveau qui est dédiée à la mémoire. Donc ça veut dire que si mon alarme s’est déréglée à un endroit bien précis, il y a la mémoire qui va me le rappeler. C’est en gros si la dernière fois que j’étais dans le tram, j’ai fait déclencher une crise d’angoisse majeure, rien que l’évocation du tram va déjà me mettre en hyper vigilance. Vous voyez là vous êtes tranquille, tout va bien, si je vous dis que vous avez une mygale qui est par terre, que vous n’avez pas vue, qui commence à courir, déjà, vous sentez un peu votre stress qui monte. Ce n’est pas vrai, il n’y en a pas. Mais voilà, c’est déjà un point important.

Caroline : J’étais en train de respirer carré.

Jérôme : Voilà, c’est exactement ça. Donc en fait, le but c’est ça, c’est-à-dire c’est d’essayer de travailler en fait sur essentiellement ces zones-là, c’est-à-dire la gestion de l’émotion, donc arriver à apaiser cette amygdale temporale, et puis sur la notion d’apprentissage, c’est-à-dire qu’en fait on va apprendre un nouveau modèle en quelque sorte, et on va voir que ça fonctionne mieux. Dans ce cas-là, ça va mieux passer. Donc en fait, on s’est aperçu, il y avait des zones qui étaient très impliquées dans ce cadre-là et essentiellement voilà, tout ce qui est zone mémoire et émotion.

Caroline : D’accord. En travaillant notre mémoire, nos émotions, notre comportement, on arrive à changer une situation potentiellement avec du travail, pour ne plus subir de crises d’angoisse ou ne plus subir ce genre de choses. Est-ce qu’il y a d’autres outils encore ? Je n’en sais rien.

Jérôme : Alors oui, il y a d’autres outils. Alors après, pour reprendre ce que vous venez d’évoquer, c’est-à-dire que ça, ça avait été au départ quelque chose qui était reproché aux TCC, c’est qu’on disait « oui, mais vous ne travaillez que sur le symptôme ». Donc en gros voilà, vous travaillez sur la peur du tram, la personne elle va prendre le tram, mais le mois prochain, il va dire « j’ai peur de l’avion », et vous allez traiter la peur de l’avion et puis, après il va dire « j’ai la peur de prendre la voiture ». Donc en fait ça, c’est un faux reproche qui est fait, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que si c’est le cas, ça veut dire que l’analyse fonctionnelle de départ a été mal faite, parce que ça veut dire que la personne n’était pas dans un contexte de phobie du tram, mais était plus dans une agoraphobie avec état de panique. Donc déjà, on ne va pas aborder de la même manière. Et puis, comme vous le disiez, le fait de modifier les pensées, de modifier le comportement, de modifier les émotions, ça permet en fait de modifier des structures cérébrales plus profondes.

Caroline : Lesquelles ?

Jérôme : Justement, on parlait des amygdales, de l’amygdale temporale. Il y a eu des études qui ont été faites, en IRM cérébrale fonctionnelle. L’IRM cérébrale fonctionnelle, c’est une IRM cérébrale, vous savez ce que c’est, l’IRM fonctionnelle, ça permet de voir quelle zone du cerveau travaille. Alors, ce n’est pas magique. C’est simplement que, une zone du cerveau qui travaille, elle est activée, il y a plus de sang qui arrive, donc on le voit sur l’IRM. Et quelqu’un qui est très anxieux, vous lui faites passer une IRM fonctionnelle du cerveau, et vous voyez les amygdales, on dirait des feux de Bengale quoi, c’est-à-dire qu’elles sont hyperréactives à l’IRM fonctionnelle. Au bout de quelques séances de TCC, vous lui refaites passer une IRM fonctionnelle et les amygdales sont muettes.

Caroline : D’accord.

Jérôme : Pas muettes parce qu’elles s’endorment, elles sont muettes parce que la personne va bien et qu’elle n’est pas spécialement anxieuse. Donc ça veut dire que, ce n’est pas juste en modifiant un comportement, en modifiant des pensées, en modifiant des choses, c’est que, on modifie des structures cérébrales vraiment profondes à ce niveau-là. Et ça, c’est vraiment un point important. Alors après, pour continuer un peu dans les outils qui sont utilisés, donc là on a vu des outils de première vague, comme on disait justement tout ce qui était respiration, et cetera, on travaille sur le comportement, on a vu des outils de deuxième vague, donc la fiche de Beck. Maintenant on peut voir des outils de troisième vague. Alors l’outil de troisième vague, il y a quelque chose qui est très utilisé actuellement et qui est très à la mode, alors, selon moi peut être un peu trop, c’est tout ce qui est on disait méditation de pleine conscience. Alors actuellement, c’est vrai que si on regarde un petit peu les publications grand public, on voit qu’il y a de la méditation de pleine conscience pour tout et n’importe quoi. C’est en gros « mangez en pleine conscience ; faites l’amour en pleine conscience ; dormez en pleine conscience ». Bon, pourquoi pas ? Ce n’est pas mauvais, mais je pense que ce qui est important de saisir c’est surtout l’esprit de ça ; c’est-à-dire que la pleine conscience, c’est quelque chose de très important. Je vous donne un exemple précis ; donc moi je… le cabinet sur le port de Nice, et juste en bas du cabinet, il y a des restaurants, que je conseille d’ailleurs, qui sont très bons.

Caroline : Je confirme.

Jérôme : Voilà, avec des terrasses qui sont très sympathiques l’été ; et moi je suis… et l’hiver aussi d’ailleurs quand il fait beau ; et moi je suis toujours effaré quand je passe devant ces terrasses, de voir des personnes qui, certainement à un moment donné, se sont dites « Tiens, j’ai un quart d’heure, je vais me mettre à la terrasse sur le port de Nice, tranquille. Je vais boire un café, je vais me poser un peu ». La personne commande son café. Qu’est-ce qu’elle fait ? Bien sûr, elle prend son téléphone, elle commence à envoyer des SMS, elle commence à téléphoner pour ses rendez-vous, quand des fois elle n’ouvre pas carrément l’ordinateur, et cetera, elle aura peut-être passé un quart d’heure ou une demi-heure là, elle va repartir, elle n’en aura tiré aucun bénéfice c’est-à-dire qu’en gros elle sera aussi stressée que quand elle était là. Par contre, si on est dans une dynamique de pleine conscience, alors la pleine conscience, vous allez dire celui qui a inventé ça, ce n’est pas un prix Nobel, la pleine conscience, c’est être là et être vraiment là. Et pourtant, c’est quelque chose de complètement révolutionnaire, c’est-à-dire que…

Caroline : Je suis complètement d’accord avec la pleine conscience, c’est juste drôle, oui, en effet, quand on donne la définition.

Jérôme : Voilà. C’est ça, c’est-à-dire qu’en gros, on reprend l’exemple de la terrasse ; vous allez vous posez, vous allez mettre de côté le téléphone, et cetera, et puis, vous allez commencer à être sensible au soleil sur votre peau qui vous réchauffe, vous allez être sensible à l’odeur du café, vous allez être sensible au goût du café, vous allez être sensible tiens le soleil qui commence à se coucher, les bruits de la mer, les bateaux, les ci les ça, et là, vous allez rester peut être dix minutes, un quart d’heure, et vous allez sortir de là, vous avez l’impression d’être parti en week-end quoi. Donc j’exagère, mais c’est un peu ça, la dynamique. Et donc tout ce qui est dynamique de méditation de pleine conscience, en fait, le principe de base, ce n’est pas de mettre une robe rouge et d’aller en haut de la montagne méditer, c’est en fait, l’objectif, c’est simplement d’être là, d’être vraiment là et de ne pas juger ses pensées, de ne pas combattre ses pensées. L’image souvent qui est donnée, c’est un peu comme si vous étiez allongé dans l’herbe, et vous regardez le ciel et vous voyez de jolis nuages qui passent. Et puis vous voyez un nuage qui passe, vous dites « Tiens celui-là, il est joli, on dirait un cheval ». Après vous avez un deuxième nuage qui passe « Tiens, il est joli, on dirait un carrosse ». Et puis vous avez un petit nuage tout pourri qui arrive, vous savez, le petit nuage gris là que vous n’aimez pas, et qu’est-ce que vous allez faire ?

Caroline : Il est moche.

Jérôme : Voilà, vous n’allez pas souffler dessus pour le faire passer, vous n’allez pas partir, vous allez vous gâchez l’instant pour rien, vous n’allez pas faire de grands gestes pour lui dire « Dégage de mon point de vue », vous allez attendre qu’il passe et puis, ensuite vous verrez d’autres jolis nuages. Le principe de la méditation de pleine conscience, qu’on appelle également la mindfulness, c’est un peu ça ; c’est-à-dire qu’en gros, c’est d’observer ses pensées, un peu comme vous observeriez vos nuages, mais sans les juger, sans essayer de les combattre. Et petit à petit, avec de l’apprentissage, ça se fait en exercice, on s’aperçoit qu’on arrive à certains moments finalement à se déconnecter en quelque sorte de ses pensées négatives. Ce n’est pas les oublier, mais c’est les regarder passer. C’est comme si vous voyez, peut être autre chose, une voiture qui passe au loin et qui ne nous plaît pas, et alors ? Ce n’est pas grave, il y en aura d’autres qui vont passer. Et l’objectif, c’est d’arriver à être dans cette dynamique-là. Alors si les auditeurs ne sont pas dans une dynamique de méditation particulière, surtout ne vous inquiétez pas, la pleine conscience, vous pouvez l’atteindre à plein de niveaux. Peut-être que si vous êtes passionné par le jardinage, vous allez jardiner et vous arriverez à un niveau de conscience. Et cet exemple-là, je ne le donne pas par hasard, c’est qu’il y a eu des études qui ont prouvé que le cerveau de quelqu’un qui jardine, et qui aime ça bien sûr, on se retrouve avec les mêmes tracés en électroencéphalogramme que quelqu’un qui est en méditation par exemple. Moi personnellement je suis un fan de plongée sous-marine, en plongée sous-marine, je suis dans un état de pleine conscience, donc j’ai intérêt à être pleinement conscient, sinon je fais un accident, c’est autre chose, mais pleinement détendu et sans juger les choses ou quoi que ce soit. Maintenant d’autres personnes, ça va juste être de se poser, de manger un pan-bagnat sur la Prom, et de regarder un coucher de soleil, et la personne sera en pleine conscience.

Caroline : Est-ce que vous avez des outils très pratiques sur, sans forcément parler de méditation, vraiment deux-trois petites astuces pour, avoir ou prendre conscience justement du moment présent ?

Jérôme : Alors déjà, c’est le premier point comme on disait se déconnecter, c’est-à-dire c’est important, si vous êtes sur votre téléphone, et cetera à regarder des trucs ce n’est pas adapté. Deuxièmement, si vraiment vous avez du mal à être dans ce cadre-là, parce que c’est un vrai travail, vous pouvez utiliser des outils, qui sont proposés aujourd’hui. Alors il y a des applications sur le téléphone, si on peut les citer pour la pub.

Caroline : Oui, oui.

Jérôme : Alors effectivement, il y a Petit Bambou qu’on peut citer, qui est une application assez intéressante surtout que Petit Bambou, c’est intéressant parce que justement c’est une application qui a été validée par de vrais thérapeutes ; c’est-à-dire, moi j’ai des collègues qui justement sont spécialisés dans tout ce qui est mindfulness, méditation de pleine conscience, et qui ont proposé des podcasts on va dire pour Petit Bambou, donc c’est assez intéressant. Autre application qui peut être intéressante aussi, qui est complètement gratuite, que vous pouvez télécharger sur votre téléphone, c’est une application qui s’appelle RespiRelax. Je ne sais pas si vous en avez déjà entendu parler. En fait c’est une application ça de cohérence cardiaque. C’est-à-dire, c’est intéressant, ça reprend un petit peu la respiration carrée de loin, mais en fait vous téléchargez ça, vous avez une bulle sur votre écran qui monte et qui descend, c’est aussi simple que ça. Quand la bulle monte, vous inspirez, quand la bulle descend, vous soufflez. Alors, autant la respiration carré, c’est intéressant, mais parfois, quand on est pris vraiment dans la situation anxiogène ou quoi, ce n’est pas toujours simple, autant là, avec ce repère visuel, ça peut être intéressant et ça peut permettre de tempérer un petit peu les choses et de respecter un rythme adapté dans ce cadre. Donc en fait, le but, c’est justement ce qu’on essaie de développer en TCC, c’est l’autonomie du patient, l’autonomie de la personne. Le but, c’est de donner à la personne un ensemble d’outils qu’elle peut utiliser en fonction de sa manière d’être, de sa manière de fonctionner. Il y a des personnes qui ne supportent pas la relaxation, il y a des personnes qui ne supportent pas la méditation, ce n’est pas grave, je veux dire le but, c’est de trouver l’outil qui corresponde à la personne en fonction de sa pathologie et en fonction de l’endroit où elle se trouve.

Caroline : OK. Et pour juste en revenir sur cette respiration, donc en deux temps pour le coup, pourquoi on ajoute ou on enlève le fait de bloquer ? Qu’est-ce que ça apporte en plus ?

Jérôme : Alors, ce n’est pas ce qu’on ajoute ou on enlève. En fait, les respirations dans la cohérence cardiaque, c’est une respiration en fait qui est beaucoup plus ample. Voilà, c’est ça qui est important. Il y a un rythme aussi à respecter, mais ça, pour le coup, c’est l’application qui le gère. Mais voilà, moi personnellement, je préfère utiliser la respiration carrée parce que voilà, la personne arrive à vraiment réguler les choses, et cetera, et une fois qu’elle a trouvé le rythme, elle peut l’adapter. Maintenant comme je disais, il y a des personnes qui ne s’en sortent pas par rapport à cette respiration carrée, qui ont du mal à visualiser les temps à respecter, qui le font très bien à domicile, mais en situation ça va leur poser problème, à ce compte-là, je leur parle de RespiRelax. En fait, le but ce n’est pas d’opposer, c’est-à-dire ce n’est pas de dire « Tiens, vous faites des TCC alors que vous ne prenez pas le traitement ». Non ! On peut prendre le traitement et faire des TCC. Ou alors « vous faites des thérapies de troisième vague. Il ne faut pas faire les thérapies de   première vague ». Ou alors « Vous faites des TCC, alors la psychanalyse, ça ne vaut rien ». Je pense que le but c’est d’essayer d’élargir, c’est-à-dire que le tout, c’est de trouver une méthode qui vous convienne. Les TCC ça ne convient pas tout le monde. Je veux dire quelqu’un qui a besoin de parler, qui a besoin d’évoquer son enfance, qui a besoin de revenir sur un mode de compréhension un peu plus en profondeur, la TCC ne sera peut-être pas adaptée pour cette personne-là. Ou alors la personne qui ne fait pas les taches à domicile, ça ne va pas lui servir à grand-chose. Donc en fait, le tout c’est de trouver la bonne approche pour la pathologie et pour le profil de personnes qui convient. Et si je dis ça, c’est que c’est un point important. Moi c’est toujours quelque chose qui m’a un peu étonné dans le grand monde de la psy, c’est que souvent les psys au sens large, ont tendance à s’opposer ; c’est-à-dire que, ceux qui font de la psychanalyse sont contre les TCC, ceux qui font des TCC disent la psychanalyse ne sert à rien ; et maintenant, on a même des oppositions au sein des TCC, c’est-à-dire que vous avez des thérapeutes TCC qui sont troisième vague et qui commencent à dire de toute façon les TCC deuxième vague ça ne vaut rien. Et ça, je trouve que c’est dommage parce que ça veut dire que chacun parle un peu pour sa paroisse, alors qu’en fait c’est le patient qui décide, c’est lui, c’est-à-dire qu’on va travailler sur une pathologie, on va travailler sur une méthode qui lui convient, on va lui proposer une méthode qui convient. Et, si j’ai un conseil à donner aux auditeurs, c’est que si vous allez voir un professionnel de soins, quel qu’il soit, si la personne vous dit  « Moi ce que je fais, ça marche dans tout », fuyez, parce que ce n’est pas adapté.

Caroline : C’est parfait. C’est mon approche qui est de dire qu’il faut tester d’abord sur soi avant de dire oui ou non, si ça ne convient ou pas.

Jérôme : Et complètement. Et puis même, alors pour le coup, en tant que thérapeute, et thérapeute et même médecin en général, je pense qu’il faut rester très humble ; c’est-à-dire que quelque part il y a des fois ça marche, des fois ça ne marche pas, et le but c’est de se remettre en question continuellement. Je vous parlais tout à l’heure d’analyse fonctionnelle, même en faisant une analyse fonctionnelle très détaillée, et cetera, alors pour ça on a des outils aussi d’analyse fonctionnelle, on a des fiches à remplir pour essayer de déterminer un petit peu les choses. Mais il y a des fois où on peut se planter en faisant l’analyse fonctionnelle, parce que le patient au début comme vous disiez, ne dit pas tout, ou en tous cas omet de dire des choses qui peuvent être très intéressantes et nécessaires. Et finalement, quand on voit que la thérapie, à un moment donné, n’avance pas, on se retrouve à patiner sur des choses et on voit que ça ne bouge pas, ce que nous ont dit aux étudiants, on dit, mais n’hésitez pas à revenir sur votre analyse fonctionnelle. Peut-être que vous êtes passé à côté de quelque chose. Quelqu’un par exemple qui vient vous voir pour un épisode dépressif, peut être qu’en fait, la dépression est secondaire à quelque chose d’autre ; un trouble de personnalité, peut-être qu’on est sur un trouble bipolaire, peut-être qu’on est… et pareil pour des troubles des conduites alimentaires, je veux dire, combien on a de personnes qui viennent nous voir pour des troubles des conduites alimentaires, alors qu’en fait, derrière, il y a un trouble de l’humeur. Je vous disais tout à l’heure, quelqu’un qui va venir voir un médecin ou un thérapeute pour un problème d’alcool alors qu’en fait c’est un problème de confiance en soi. Donc je pense que c’est important à chaque fois de fouiller, fouiller, fouiller, et de toujours se remettre en question. Et je reviens une nouvelle fois sur l’esprit scientifique des TCC, c’est ça un scientifique. Regardez tout le débat, on sort un peu du cadre, mais, tout le débat qu’on a eu à propos du Covid, chacun y allait de son petit avis, et finalement les vrais scientifiques qui se sont bien gardés de donner des avis très tranchés, et finalement, en fonction de l’évolution des variantes de ci, de ça, des traitements, des vaccins, et cetera, on avance, on évolue. Mais, si d’emblée on dit « Non, le virus est comme ça ou ce n’est pas comme ça », on en resterait encore au fait que le virus, c’est parce qu’on a bouffé du pangolin et qu’on ne peut rien faire dessus. Donc voilà, je pense que, le but c’est toujours toujours de se remettre en question. Et moi, en tant que thérapeute, c’est ça qui me passionne dans ma pratique. Parce que si je savais tout et que tout soit établi, à ce moment-là, on n’a même pas besoin de moi quoi, à la rigueur, on se met devant un ordinateur, vous appuyez sur un bouton, vous avez tel symptôme ? OK, vous avez l’ordonnance qui sort directement. Ce n’est pas comme ça que ça marche.

Caroline : Je suis complètement d’accord et c’est ce que je recherche, en tout cas aujourd’hui, et je pense ce que les auditeurs recherchent aussi. Et j’ai une dernière question sur une situation donnée, avec un exemple très pratique. Ou deux exemples, allez admettons, je suis sportif, je veux courir le semi-marathon qui aura lieu bientôt à Nice. Comment est-ce que les TCC pourraient me servir dans cet objectif-là ? Parce que là donc, je détermine bien mon objectif, je sais ce pour quoi je vais m’en servir, comment je peux m’en servir ?

Jérôme : Alors, les TCC vont vous aider à plusieurs titres. D’abord, on peut utiliser quelque chose qui est utilisé dans un autre domaine, qui est le domaine essentiellement dépressif, qui est l’activation comportementale. C’est quoi l’activation comportementale ? C’est quelque chose qui ressemble exactement à l’entraînement sportif ; c’est-à-dire quelqu’un qui est dépressif, il se retrouve avec une perte du plaisir et une perte de l’élan vital, c’est-à-dire que pour lui, ce que vous vous dites quand vous dites je vais courir le semi-marathon ou même l’Ironman, pour lui, l’Ironman, c’est le simple fait de descendre en bas de chez lui et d’aller acheter le pain par exemple. On va fixer dans ce cadre-là un agenda d’activité, donc le fait par exemple pour vous, au niveau sportif, de programmer votre entraînement en fonction des objectifs que vous allez vous donner ; si vous devez courir, je ne sais pas moi, vingt kilomètres, vous n’allez pas, si vous ne courez pas habituellement vingt kilomètres, vous n’allez pas vous mettre à courir vingt kilomètres tout de suite. Donc il va falloir que vous programmiez ça. Donc ça déjà, c’est un premier point, c’est tout bête, mais c’est déjà une démarche cognitive et comportementale. Le fait de programmer quelque chose, et l’objectif que vous vous donnez, vous le découpez en sous objectif, voilà, c’est-à-dire que déjà peut être le premier jour, vous allez courir un kilomètre, et c’est très bien comme ça. Deuxième chose qui va être importante dans cette démarche-là, c’est d’arriver à travailler aussi sur l’aspect gestion émotionnelle, parce que plus vous allez vous rapprocher de l’échéance de la course, et si vraiment vous vous investissez là-dedans, et plus vous allez être stressé et angoissé. Donc ça va être un point important. Après, il y a toute une dynamique là aussi TCC. Je parlais tout à l’heure de psychoéducation, c’est-à-dire de meilleure compréhension de votre physiologie, de voir qu’il faut vous coucher à une certaine heure, qu’il ne faut pas faire n’importe quoi, vous n’allez pas courir dix kilomètres le soir une heure avant d’aller vous coucher, parce que sinon vous allez mal dormir, des petites choses toutes simples de cet ordre-là. Et puis, il y a aussi un concept qui est beaucoup utilisé en TCC et pour les troubles anxieux également, c’est le concept de visualisation ; c’est-à-dire que vous allez visualiser la course, vous allez visualiser, par exemple, quand vous travaillez, que vous faites du sport, vous allez faire de la musculation ou quoi que ce soit, de visualiser les muscles que vous travaillez. Vous voyez, je vous disais tout à l’heure la pleine conscience, on est en plein dedans. Le sport, c’est de la pleine conscience. Si vous allez à la salle de sport et que vous êtes collé sur votre téléphone par rapport aux photos que vous envoyez à Instagram ou quoi que ce soit, moi, c’est toujours un truc qui m’a qui m’a effaré. Je fréquente une salle de sport, chaque fois que je vais en salle de sport, je vois les gens qui se prennent en photo de tous les côtés, et finalement ils ne font qu’un exercice. Donc, pourquoi pas ? Ça peut être sympa. Mais dans le cas d’un entraînement pour une compétition, ça ne sera pas adapté. Quand vous y êtes, vous y êtes vraiment. Quand vous travaillez un muscle, vous imaginez votre muscle qui travaille, vous sentez votre muscle qui travaille. En fait, les TCC, c’est ce que je disais tout à l’heure, ils n’ont pas inventé grand-chose. On se base sur des principes qui ont été édictés par des philosophes qui sont arrivés cent ans après Jésus Christ quoi. Mais le but, c’est d’essayer d’être sur quelque chose où vous programmez, vous anticipez, vous visualisez, vous savez où vous en êtes, vous évaluez aussi ; n’oubliez pas, qu’en TCC on évalue, au fil du temps, c’est pareil pour votre compétition. L’objectif, c’est de vous évaluer, de savoir où vous en êtes par rapport à votre entraînement, par rapport à sa dynamique, et c’est très important. Et d’ailleurs, pour revenir à cette histoire de sport et de sport de haut niveau, il y a eu des études qui ont été faites dans le domaine universitaire, et on s’est aperçu que pour des concours, alors là, il y a des études qui ont été faites sur le concours de première année de médecine, et on s’est aperçu que d’anciens sportifs de haut niveau réussissaient beaucoup mieux la première année de médecine du premier coup que, des personnes qui n’avaient jamais fait de sport. Parce qu’en fait, ils préparaient le concours comme une compétition ; c’est-à-dire qu’en gros, ils savaient à tel moment où ils en étaient, qu’est-ce qu’il leur restait à réviser, comment ils s’organisaient la journée. Le matin, je disais cette activation comportementale, par exemple le matin, ils se levaient tôt pour travailler tel cours, après ils faisaient une pause d’une heure, ils allaient courir, ils allaient nager, ils revenaient, ils prenaient un repas sain à midi, ils rebossaient l’après-midi, ils avaient un mode de vie sain, etc. Et ça, c’est très important. Et puis toujours pareil. Après, il y a la dynamique de bien se connaître, de connaître sa physiologie, et cetera. Mais ça veut dire qu’il y a un travail personnel à faire, là encore de pleine conscience. C’est un point important, et on voit que les sportifs de haut niveau sont dans cette dynamique de pleine conscience. C’est un point très important ; c’est-à-dire que quand ils sont dans leur activité, ils y sont vraiment. Et ça, c’est un concept aussi qui a été pas mal développé, alors c’est un, on va dire une branche un petit peu des TCC, qui s’appelle la psychologie positive. Et en psychologie positive, il y a le concept de flow en anglais ou de flux en français qui est développé, et ça veut dire, là encore, c’est un peu la même chose, c’est-à-dire quand on est dans une activité, on y est vraiment. Pour illustrer ce domaine du flow ou du flux, je vous donne l’exemple qu’on a donné tout à l’heure de jardinage par exemple. Vous vous dites « Tiens, j’ai une heure devant moi, je vais jardiner ». Vous vous mettez au jardinage et quand vous avez fini, il s’est passé quatre heures et vous n’avez pas vu passer ces quatre heures. Vous étiez en plein dans le flow, dans le flux, dans la pleine conscience, et le sport, c’est la même chose. Si vous allez vous entraîner et que vous n’avez pas envie, que vous ne savez pas ce que vous allez faire, vous n’avez rien programmé, vous ne visualisez absolument pas, vous vous entraînez pendant que vous allez courir, comme on voit d’ailleurs sur la Prom à Nice, des personnes qui courent en train d’envoyer leurs photos Facebook ou quoi que ce soit, ce n’est pas adapté. Donc tout ça, c’est alors, soit on va dire que ça vient des TCC ou les TCC viennent de là, mais c’est interconnecté, en tout cas, c’est l’esprit TCC.

Caroline : Et dernier… on va dire exemple avec un quotidien, qui je pense se rapproche de celui d’un sportif, mais si on est un chef d’entreprise, entrepreneur et qu’on est en train de travailler sur un très gros projet, pareil, deux-trois outils pour aider cette personne à atteindre son objectif d’avoir une société qui fonctionne bien, à mon avis ça va être à peu près les mêmes schémas…

Jérôme : Exactement, c’est ça.

Caroline :… est-ce qu’il y a un ou deux un peu différents ?

Jérôme : Alors oui, ça va être des schémas justement de gestion là encore d’anxiété de performance, c’est-à-dire ne pas déjà regarder ce que les autres font, c’est un point important de ne pas se comparer aux autres. On se compare toujours à soi-même. Et ça, je vais vous dire, alors c’est valable pour le chef d’entreprise, mais c’est valable pour le phobique pareil, c’est-à-dire la personne qui dit « Tiens, j’ai réussi à aller faire les courses au supermarché qui est juste en bas ». En gros on va dire « mais vous êtes le champion du monde ». La personne va dire « Non, il y a des gens qui vont dans des centres commerciaux depuis toujours », mais tant mieux pour eux. Mais ce qui est important, c’est de voir vous par rapport à vous-même. Donc pareil, c’est-à-dire le chef d’entreprise qui veut se donner des objectifs ou quoi que ce soit, déjà, qu’il se centre sur ces objectifs-là et qu’il ne se compare pas à Google ou à Apple ou je ne sais pas quoi, donc qui voit déjà ses objectifs, comment il peut atteindre les objectifs, qu’il ne parte pas comme ça bille en tête sur un objectif qui ne tient pas la route. Et finalement, si on devait résumer les choses d’une manière un peu différente et peut être plus au niveau physiologique, en fait, au niveau du cerveau, on a deux modes de fonctionnement. On a un mode de fonctionnement cognitif : les processus de pensée, la réflexion, l’anticipation, la prise de distance, la prise de recul, et cetera. Et puis on a un mode de fonctionnement qui est un mode de fonctionnement émotionnel. Et là où ça va poser problème, que ce soit dans le domaine de la pathologie, dans le domaine de l’entreprise, enfin entreprise et de chef d’entreprise, du travail, dans le domaine sportif, dans le domaine sexuel, dans le domaine de tous ces domaines-là, c’est quand l’émotionnel prend le pas sur le cognitif ; c’est-à-dire, quand les décisions qu’on prend ou le comportement qu’on a n’est plus guidé par une réflexion, mais guidé par les émotions. Et dans ce cas-là, ce n’est jamais bon parce que les émotions soit on va se retrouver dans un système de sidération, c’est-à-dire en gros, l’émotion nous bloque, on ne fait pas. C’est un peu comme le petit lapin qui est sur la route avec les deux phares qui lui fonce dessus, il a cinquante fois la possibilité de partir, mais il reste bloqué, il se fait écraser, ça, c’est la sidération. Ou alors on peut être sur un mode d’agressivité, et ça ce n’est pas adapté, ou sur un mode de prise de décision qui n’est absolument pas réfléchi, et ce n’est pas adapté. Donc l’objectif, c’est d’essayer justement grâce aux techniques TCC, on en a vu quelques-unes, mais il y en a plein d’autres, mais grâce aux techniques TCC, à revenir sur un mode de réflexion. Et regardez bien, alors, pour revenir à votre question sur les chefs d’entreprise, les chefs d’entreprises qui avancent, qui fonctionnent, et cetera, qui sont performants, on va dire, c’est un terme à la mode, mais ce sont des gens qui effectivement, sont un peu comme un sportif qui fait une course de fond, mais à un rythme de fond. Si vous partez sur une course de fond, et que vous partez sur un rythme de sprint, vous n’arriverez jamais au bout, et ça ne va pas coller. Donc l’objectif c’est ça, c’est-à-dire, c’est de se donner des buts, de se donner des objectifs. Si ces objectifs sont très éloignés ou très élevés, on va découper ça en sous-objectif. Et au fur et à mesure, chaque fois qu’on arrive à en verrouiller un, après on passe à un autre et on avance, et on avance, et on avance, et si par hasard on se plante, ça arrive aussi, dans ce cas-là, ça fait partie du processus ; c’est-à-dire que c’est dans le processus et on y a déjà pensé et on a déjà une sorte de plan B quelque part. Voilà, ce sont des points, c’est basique, mais c’est très important parce que quand on se lance dans un projet, quel qu’il soit, si on n’a pas de plan B et ça ne peut pas fonctionner. Et puis finalement, après à posteriori, on s’aperçoit que le plan B c’est bien mieux que le plan de départ finalement. Donc le but c’est ça, c’est d’arriver à revenir à une certaine plasticité cognitive, c’est-à-dire la capacité de s’adapter à un environnement qu’on ne maîtrise pas toujours. Et souvent, un comportement anxieux, c’est un comportement où on va chercher à être dans l’hyper contrôle. Mais le problème c’est qu’on ne peut jamais tout maîtriser. Et si on n’a pas prévu justement d’être dans une certaine plasticité, quand il arrive et ça arrive toujours, un truc qu’on n’a pas prévu, on se casse la figure parce qu’on n’arrive pas à réagir. Et là vous disiez dans le domaine de l’entreprise, mais il y a plein d’entreprises qui se sont cassé la figure face au Covid. Ce n’était pas prévu. Bon, il y a eu des soutiens pour certains, et cetera, mais d’autres ils n’ont pas eu de soutien. Donc voilà quelque part, si demain on doit monter une entreprise, qu’est-ce qu’on fait dans ce cadre-là ? Qu’est-ce qu’il en est par rapport à des choses qu’on n’a pas, alors on ne va pas tout anticiper, mais on peut anticiper le fait que voilà, si on regarde les deux ans qui se sont écoulés, on s’est tapé le Covid, on se tape la guerre en Ukraine, je veux dire ce n’était pas prévu tout ça. Et pourtant il faut bien qu’on s’adapte à ça, qu’on arrive à gérer les choses. C’est un peu ça le secret. C’est, vous savez, il y a un grand philosophe qui a dit ça, c’est Bruce Lee, qui a dit « Soit comme l’eau », c’est-à-dire qu’en gros, tu mets de l’eau dans un bol, il prend la forme du bol, tu mets de l’eau dans une carafe, elle prend la forme de la carafe et elle s’adapte. Et à côté de ça, l’eau, elle peut être très forte, et à un moment donné, être un adversaire qu’on n’arrive pas à vaincre. Mais c’est exactement ça. Voilà, si on est comme un bloc de pierre, il y a un moment donné où ça va coincer.

Caroline : Parfait. Super ! J’adore l’image, merci ! Est-ce que, pour finir cet épisode, je demande souvent à mes invités, est-ce qu’ils ont une astuce, une technique, un hack comme j’appelle ça, pour aider les auditeurs à être en meilleure forme au quotidien ? Quelle serait la vôtre ?

Jérôme : Alors moi j’aurais tendance à dire, surtout, déjà premièrement, d’essayer de déterminer quelles sont les valeurs de la personne. Ça aussi c’est une partie de TCC, c’est les valeurs fondatrices de la personne. Qu’est-ce qui est important pour vous ? Qu’est-ce qui est le plus important pour vous ? Et d’essayer de mettre en application des stratégies pour se rapprocher de ces valeurs. Voilà, c’est ça qui est important. Ce n’est pas tant pour être en forme physique, parce que pour être en forme physique, oui OK, je peux vous donner une réponse bateau, levez-vous à une certaine heure, couchez-vous à une certaine heure, mangez correctement, ne fumez pas, faites du sport. Oui d’accord, ça, je suis tout à fait d’accord. Mais psychiquement, ce qui importe, c’est d’essayer de se rapprocher de ses valeurs. À partir du moment où vous êtes dans cette dynamique-là, c’est quasiment le secret du bonheur ça.

Caroline : Super ! Merci beaucoup !

Jérôme : Avec plaisir !