Transcription - Episode 10

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Geoffroy Berthelot - Peut-on prédire la performance sportive ? - #10

Caroline : Geoffroy Berthelot. Est-ce que tu peux me dire un petit peu plus qui tu es ?

Geoffroy : J’ai fait l’école publique classique jusqu’au lycée. Après, j’ai passé à la fac, où à la fac, j’ai commencé par l’informatique et j’ai terminé par la biologie parce que je m’intéressais à mieux comprendre la biologie du point de vue de l’informatique et des chiffres. Donc, j’ai un cursus un peu entre l’informatique, la biologie, les maths, la physique et donc c’était assez flexible que disciplinaire. Donc après, j’ai cherché un poste dans l’intelligence artificielle parce que moi, ce qui m’intéressait, c’était vraiment le côté de l’intelligence artificielle à partir des chiffres, faire des prédictions, ce genre de choses. Il se trouve que j’étais peut-être un petit peu en avance. On m’a dit, partout où j’ai frappé, on m’a dit : « Désolé, monsieur. C’est très intéressant, mais pour l’instant, on en est au recueil de données ». Même chez les militaires, c’était comme ça. Donc pour le coup, après, j’ai trouvé un poste très rapidement dans un labo qui était en train de s’ouvrir avec le professeur Jean-François Toussaint, qui est à l’INSEP : Institut national du sport, de l’expertise et de la performance. Où là, l’idée c’était de travailler un peu sur les données sportives : « Qu’est-ce qu’on pouvait en faire ? Qu’est-ce qui existait à travers les données sportives ? Quelles étaient les publications dans le 20ème siècle ? Qu’est-ce qui s’ouvrait au 21ème siècle ? Et donc, là, ce qu’on a commencé par faire, c’était de regarder s’il existait des limites physiologiques, de savoir est-ce qu’en gros, l’homme pouvait courir le 100 mètres en cinq secondes, quatre secondes, trois secondes, etc. Pareil pour toutes les épreuves sportives. Et donc, en reprenant un petit peu la littérature, il y avait un article qui est paru dans une énorme revue scientifique qui s’appelle : « Nature », qui est en fait une des plus grosses revues scientifiques interdisciplinaires mondiales, qui a été publié en 2004, qui a été écrit par Tatem et qui suggérait qu’en fait, quand on traçait les performances sportives du 100 mètres masculin et du 100 mètres féminin, il suggérait à travers une extrapolation qu’en 2156, les femmes courraient aussi vite que les hommes aux alentours de 7 secondes et qu’après ça continuerait de progresser de manière linéaire. Donc, ce raisonnement-là, il a été très critiqué parce que ça supposait qu’on arrive à des temps nuls dans horizon 2030, donc la téléportation, avec des temps négatifs ensuite. Donc, ça posait quelques problèmes à la physique moderne, même en 2300, ça posera toujours des problèmes. Donc ça a été un article qui a eu énormément de critiques et qui a eu énormément de publications sur leur site web pour dénoncer ces approches statistiques. « Nature » est plutôt habituée à se soumettre des articles qui appellent la controverse parce que ça leur fait de l’image, ça fait de la visibilité, comme d’autres très bons articles pareil, mais bon, il y en a d’autres qu’on a détectés par la suite. Il y en avait d’autres qu’on a vus avant. Donc nous, on a regardé les records du monde, tout simplement. Et il ne faut pas que je dise de bêtises parce que ça remonte à 2008… C’est 120 épreuves olympiques quantifiables. Donc c’est vraiment des mesures de temps, de mètres, de distance, de hauteur chronométrique. Donc ce n’est pas très sujet à discussion puisque ce n’est pas un jury qui évalue une performance, là c’est une mesure de temps ou de distance. Donc là, quand on fait ça, on se rend compte que toutes les évolutions, elles ont tendance à ralentir en termes de fréquence. Donc il y a de moins en moins de records du monde et l’écart relatif entre les records, la distance entre chaque record est de plus en plus petite. Donc quand on ralentit en temps et en distance relative, ça veut dire qu’on s’approche de quelque chose qui plafonne, donc une tendance un peu exponentielle. Et donc, ça veut dire que ça ne progresse pas linéairement. Ça veut dire qu’il y a quelque part une forme de limite intrinsèque à notre condition d’être humain, qui a été modelée par l’évolution darwinienne, même si elle est discutée en ce moment. Et donc, on ne peut pas nager aussi vite que les dauphins, courir le 100 mètres en moins de trois secondes. Donc, on a des limites.

Caroline : Donc c’est l’inverse de Tatem quoi.

Geoffroy : Voilà. Sachant que Tatem avait mal fait le boulot parce qu’avant lui, en 1970 déjà, il y avait eu des travaux qui montraient qu’il y avait une forme de limite qui existait. Mais le recul sur les données n’était pas suffisant parce qu’en plus, il y a eu la Seconde Guerre mondiale, donc avant, les gens faisaient leurs records dans leur pays. Après la guerre mondiale, il y a eu l’ouverture des pays et des frontières et donc, du coup, les gens ont commencé à faire des records dans les autres pays. Et de fait, il y a eu plus de données qui sont apparues. On a recueilli plus de données. Il y a eu l’affrontement avec l’Allemagne de l’Est. Il y a eu plein de choses par ailleurs, qui étaient vraiment très bizarres. Et donc on a pu recueillir toutes ces données-là. Et c’est seulement à partir du début du 21ème siècle qu’on a vraiment pu avoir un recul sur cette limite, en quelque sorte. Et ça, ça plaît beaucoup aux journalistes parce qu’ils se disent tout le temps, mais dès qu’il y a les J.O., dès qu’il y a les championnats du monde, mais « Est-ce que vous ne croyez pas que le record d’Usain Bolt va être battu ? Quelle est la limite de l’homme sur le 100 m ? ». Parce qu’évidemment, ça intéresse pour le 100 mètres ou le marathon sur les deux heures, et donc ils se posent ces questions-là. Donc ça, c’est le premier gros chapitre. Donc c’était le chapitre de tout ce qui est limites humaines. Après, il se trouve que le laboratoire dans lequel j’étais, il s’est beaucoup développé parce qu’il y avait un intérêt au sein de l’INSEP, mais au-delà des frontières, de savoir un petit peu qu’est-ce qu’on faisait, qu’est-ce qu’on pouvait faire des données dans le sport. Et donc après, on a eu plusieurs vagues de recherche ; il y avait le vieillissement, il y avait ce qu’on appelle la physiopathologie, l’étude des blessures chez les sportifs de haut niveau…

Caroline : Très intéressant.

Geoffroy :… mais dans la population générale aussi, en fait, l’idée, ce n’était pas que d’être axé sur le sport de haut niveau, qui était quand même une thématique forte chez nous, mais de regarder comment ça se décline dans la population générale, qui pratique une activité physique une fois par semaine ou alors de manière plus fréquente, qui n’est pas en train de faire des compétitions, mais qui fait ça plutôt pour le plaisir ou pour se maintenir en bonne santé. Donc, on a eu aussi un axe sur le vieillissement qui est « Comment ? Quel impact a l’activité physique sur le vieillissement ? Quel impact ? ». Et il y a toutes les questions qui gravitent autour parce que la performance est extrêmement multidimensionnelle vu qu’il y a la nutrition, l’aspect mental, l’aspect santé et l’aspect environnement, parce que, quand il neige, on n’a pas trop envie de courir, donc, on est influencé par ce qui se passe, les conditions climatiques, etc.

Caroline : C’est ce que j’allais dire. Il y a pas mal de personnes qui ont du mal à conceptualiser cet aspect environnement dans l’aspect performance. Est-ce que tu aurais une définition, quelque chose un petit peu plus précis pour expliquer de quoi on parle quand on parle d’environnement ?

Geoffroy : Oui, alors, il y a deux choses. Il y a le changement climatique. Donc ça, c’est un premier effet qui aura un impact sur les performances sportives. Je vais y revenir dans un deuxième temps. Le premier temps, c’est qu’en gros, nous, on regardait un petit peu, ce qui nous intéressait, c’était de savoir si, par exemple, la température et l’humidité avaient un effet sur la performance. En gros, quand on a envie de faire ou de se dépasser soi-même et qu’on court quand qui il fait très chaud, est ce que c’est plus intéressant de courir quand il fait très chaud ou plutôt très froid ? Et donc là, on a mené une étude sur beaucoup de données sportives d’athlètes plutôt de haut niveau, et on a constaté que pour un marathon, c’est autour de 10 °C pour les hommes et pour les femmes aussi. Donc, l’idée c’est de ne pas être trop chaud, ne pas être trop froid, parce qu’il y a le Marathon des Sables où ils courent dans le désert, le Marathon des pôles où ils courent sur la banquise. Donc ça en fait, ça réduit fortement les performances. Comme on s’en doutait un peu.

Caroline : C’est ce que j’allais dire.

Geoffroy : Et donc en fait, quand on court le marathon, par exemple, la température corporelle s’élève ; au bout de 42 km, on a chaud, on est aux alentours de 40 degrés, ce n’est pas anodin. Et donc le fait d’avoir une température qui est un petit peu plus faible que celle du corps humain, ça aide à refroidir le corps, mieux évacuer cette chaleur. Donc ça, c’est l’aspect environnemental sur la performance pure. Donc aujourd’hui, par exemple, quand on a les J.O. en août, aujourd’hui, les étés sont plus chauds, donc les performances, les dates de compétitions se décalent dans la soirée pour éviter les pics de chaleur. Mais ça a quand même un impact. Ça veut dire que les coureurs du 100 mètres, c’est plus difficile de courir 100 mètres quand il fait très chaud parce que c’est un effort intense. Pareil pour les disciplines plus longues distances comme le marathon de 10 000 mètres. Donc aujourd’hui, il y a un autre effet qui se coule entre guillemets, c’est le changement climatique, comme on sait que ça va continuer à se chauffer en moyenne sur le globe, il y a des questions d’ordre réglementaire qui se posent en disant « Est-ce qu’il ne faut pas décaler la date des JO, les faire plus tôt en juillet ou en septembre ? Ou est-ce qu’il faut les faire parce qu’il y a des endroits qui vont être plus chauds que d’autres ? ». Donc là, il y a toute une question qui est en train d’être… se positionner sur « Comment on s’adapte ? ». Parce que c’est ça, la vraie question. Aujourd’hui, on est adapté à notre environnement qu’on avait commencé à dégrader. Aujourd’hui, sa dégradation s’accélère ; c’est comment on fait pour continuer à vivre comme avant dans ce milieu qui devient de plus en plus hostile entre guillemets. Et donc, il faut trouver des manières de continuer à faire du sport dans ces conditions-là. Si le sport, toutefois, reste un élément important de la société dans ce contexte très turbulent, ce qui est aussi un autre débat en se disant voilà quand l’énergie augmente en ce moment, tous les prix augmentent, quand la planète va mal et qu’on voit qu’il y a des pandémies, etc, est-ce qu’il faut continuer à faire du sport ? Moi, je pense que oui, parce que c’est une manière d’avoir un loisir, comme la musique, comme la peinture, comme plein d’autres arts ; et donc est-ce qu’il faut continuer dans cette direction-là, ou est-ce qu’il faut se renfermer ? On arrête tout et on remet l’argent ailleurs. Il y a des questions qui sont plus des questions d’ordre, d’ordre philosophique, éthique. C’est vraiment des questions… « Est-ce qu’on continue à aller dans l’espace alors qu’il y a des gens qui sont pauvres ? ». C’est des questions que tout le monde se pose.

Caroline : Clairement.

Geoffroy : Donc, il y a des flux financiers, fléchés vers une direction ou dans une autre. Qu’est-ce qu’on doit faire ? Etc. Le sport en France, on a continué de s’y intéresser aussi par ailleurs, ça nous apprend plein d’autres choses par ailleurs. Quand on regarde les sportifs de haut niveau, on se dit pourquoi ils sont si rapides, pourquoi ils sont si forts ? Et donc, on s’est intéressé également à la génétique. Donc on avait des expériences sur les nématodes qui sont des petits vers millimétriques, qu’on faisait dans les laboratoires de physique pour essayer de comprendre pourquoi, par exemple, ces petits vers, comment ils s’adaptent à des environnements qui sont très différents. Quand on met de la caféine, qu’on supplémente avec la caféine, ça veut dire qu’on le dope un peu entre guillemets, donc il s’énerve, pour des températures différentes, etc. Et ces petits vers, ils ont… ils font quelque chose qu’on n’explique pas aujourd’hui dans la science, c’est que quand on met un champ électrique, ils se mettent à courir le long des lignes de champ. Et ça, personne ne comprend pourquoi. C’est juste ce qu’on observe. Donc, on met un gel d’Agar, on met les vers dedans, on allume le courant, ils se mettent à pourrir le long des lignes de champ. On ne sait pas s’ils courent à fond, s’ils courent en… en endurance, s’ils font un marathon. C’est ce qu’on observe et donc ça nous permet de mesurer une vitesse de course d’un nématode en fonction de son âge. C’est un modèle animal qui est très intéressant parce que ce sont des vers millimétriques, ils ne vivent pas très longtemps, ça dépend des conditions de température, etc. Mais ça permet d’avoir des générations, et de voir un petit peu s’il y a une influence de l’entraînement sur les générations, quand on les fait courir dans les lignes de champ.

Caroline : D’accord. Et ça donne quoi ?

Geoffroy : Pour l’instant, nous, ce qu’on regardait, c’était l’effet vitesse en fonction de l’âge. Donc, en gros, c’est le vieillissement du nématode, parce que ça influe sur la performance. Il se trouve que oui. Quand ils vieillissent, ils ne bougent presque plus. Quand ils sont jeunes, ils sont plutôt dynamiques. Et c’est vrai quand on les fait courir dans les lignes de champ ou quand on enlève les lignes de champ et qu’ils ont une activité volontaire, c’est-à-dire qu’ils se déplacent librement pour aller chercher de la nourriture, par exemple. On a fait ça dans beaucoup d’autres animaux. On a fait ça avec des souris. Donc les souris, elles adorent les petits trous ; on les met dans une cage et elles parcourent un nombre incroyable de kilomètres avec les petits trous. Et donc, c’était intéressant de mesurer cette activité volontaire, de se dire voilà « quand elles sont vieilles, est-ce qu’elles font plus ou moins ? ». Et on s’est intéressé à des lévriers, aux chevaux de course, à l’homme, etc. Donc, l’idée, c’était de mesurer vraiment, est-ce qu’il y a une dégradation de la performance en fonction de l’âge dans les mammifères ou dans les animaux qui sont un peu à la limite du champ des mammifères. Et on a constaté la même chose partout, c’est-à-dire qu’en gros, quand on est jeune, on est très dynamique et notre vitesse, elle augmente très vite jusqu’à un pic vers 20 à 30 ans. Et après, on décline de manière inéluctable. Ce n’est pas gagné. Après, on a… ce qui nous intéressait, c’est qu’on a mis ça au regard de la performance cognitive, parce qu’on s’est dit est-ce que la performance cognitive elle suit la même tendance ?

Caroline : Tu peux donner une définition de la performance cognitive ?

Geoffroy : Oui, c’est très difficile de mesurer l’intelligence, parce que quand on parle d’intelligence, c’est un terme très, très vague. Nous, ce qui nous intéressait, c’est de mesurer, par exemple, la vitesse d’exécution d’une tâche très simple. Par exemple, un calcul ou chez les singes, c’est repérer un carré différent d’une autre couleur sur un écran, ce genre de choses. C’est les tâches qui ne demandent pas forcément un entraînement, mais qui demandent une réaction, un temps de réaction rapide, donc ce temps de réaction diminue en fonction de l’âge. Il y avait aussi d’autres épreuves chez les humains, par exemple reconnaître un visage. Donc, on vous donne un ensemble de visages, certains sont bruités, c’est-à-dire qu’on rajoute un par exemple, l’image elle est un peu déformée, ou on fait une rotation du visage pour le voir à l’envers et on vous donne l’ensemble des visages, on vous demande est ce que ces visages si on vous les représente est-ce que vous les reconnaissez ? Donc, en gros ça porte un nom, c’est le Cambridge Fest Memory Test. L’idée, c’est qu’on a un ensemble de visages et quand on les déforme un peu, est-ce qu’on arrive à les reconnaître. Donc ça, c’est pareil, c’est une forme de tâche cognitive où l’idée fait appel à beaucoup de choses dans le cerveau ; le fait de reconnaître un visage parce qu’il y a l’aspect mémoire instantané, l’aspect mémoire à long terme aussi. Et il y a aussi l’aspect de reconnaissance des formes, ce genre de choses et donc ça, toutes ces tâches-là suivent la même trajectoire, c’est-à-dire que, quand on est jeune, on n’est pas très bon. Quand on approche 30 ans, on est plutôt bon. Et après, on a va déclamer, le message rassurant parce qu’on se dit « Mince ! », quand on regarde la performance physique, on est en train de décliner, du coup, on va devenir vieux et immobile. L’aspect positif, c’est que le déclin dans la performance cognitive est quand même beaucoup plus lent et même chez les grands maîtres d’échecs, parce qu’on a regardé les performances aux échecs, il y a des grands maîtres à 70 ans qui étaient encore très performants. Donc, c’est une idée plutôt d’entraînement cognitif qui…

Caroline : C’est ce que j’allais te demander. Est-ce que du coup, ces recherches, vous les avez aussi poussées pour voir qu’est-ce qu’on peut faire contre ce déclin, aussi bien physique que cognitif ? Et est-ce qu’il y a des choses à mettre en place ou des études que vous avez pu mener sur l’analyse en fait de l’après, pic et seuil de performance ?

Geoffroy : Oui, on s’est intéressé de manière, on aime bien le terme holistique et épidémiologique puisqu’on regarde dans toutes les directions, ce qui peut influencer cette chute de performance. Donc, pour le cerveau, c’est déjà très documenté. Il y a beaucoup de… en gros quand on sollicite notre cerveau de manière récurrente sur des tâches difficiles qui sont différentes, ne pas faire tout le temps la même tâche, on constate que c’est très bon pour le cerveau. En fait, on est en train de travailler notre cerveau pour qu’il puisse résoudre des tâches difficiles. Donc, ça peut être des choses comme les mots croisés ou des choses plus difficiles comme les jeux d’échecs, les jeux de go, enfin, il y a plein de jeux qu’on peut pratiquer ; par contre, quand on fait tout le temps la même tâche de manière répétitive, même si c’est une tâche un peu complexe, au bout d’un moment, on devient expert dans la tâche et le fait de ne pas varier la tâche, le fait qu’on a quand même une perte au niveau de la partie fonctionnalité cognitive. Donc ça, on l’a déjà observé. Il y a des études chez les routiers notamment, des gens qui conduisent des camions. C’est des gens qui sont experts dans la conduite. Ils font ça mieux que quiconque. Et le problème, c’est qu’ils font ça pendant de longues heures pendant la journée et en fait, ils ont plus de mal, a par exemple faire des tâches un peu différentes. Donc ça il y a plein d’études qui sont encore là-dessus. Il y a d’autres aspects qui rentrent en ligne de compte. Il y a tout l’aspect nutrition. Donc ça, on s’est aperçu que le taux de sucre, par exemple, tout ça a un effet sur la capacité cognitive.

Caroline : Parce que ? S’ils ont montré un tout petit peu là-dedans.

Geoffroy : Oui, il y a eu… il y a des études sur la restriction calorique. En gros, la restriction calorique, c’est manger deux repas par jour au lieu de manger trois. Donc, il y a une île au Japon où, traditionnellement, ils mangent un peu moins et ils mangent par exemple des… plus de poissons, de produits issus de la mer. Et donc, on a été voir précisément ce que faisait, pas nous, mais d’autres chercheurs, ont été voir un petit peu ce qui se passait dans cette population.

Caroline : C’est à Okinawa, ou ?

Geoffroy : Oui. Et il se trouve que ces gens-là vieillissaient beaucoup plus… enfin, ils vivent beaucoup plus vieux. Ils vivent en meilleure santé globalement et par contre, ils ont… Alors, le QI c’est toujours une mesure à prendre avec beaucoup de pincettes, beaucoup de précautions, parce que c’est une mesure, une parmi d’autres, de l’intelligence. On ne sait pas vraiment. Ça ne mesure qu’un spectre de l’intelligence. Il est vrai qu’il semblait qu’il avait un QI un peu inférieur. Donc, est-ce que c’est lié au fait qu’il se soit privé d’un apport calorique tout au long de leur vie, etc. ? Pour l’instant, c’est en train d’être étudié.

Caroline : C’est toujours en cours d’étude. Parce que je savais qu’à Okinawa, c’était déjà une île qui était beaucoup étudiée, mais il y a toujours des études en cours et particulièrement sur cet aspect-là.

Geoffroy : Nous, on est des êtres qui sommes, qui ont une durée de vie assez longue en général. Donc, on ne peut pas faire d’analyse générationnelle pour dire « si je fais une lignée avec beaucoup de sucre et une lignée contrôle sans sucre, qu’est-ce qui va se passer à long terme ? ». On n’est pas capable de le faire chez les humains, il faudrait un laboratoire qui dure 1400 ans, comme l’hydre, mais il semblerait que ça a un impact. Alors après, c’est à prendre avec précaution parce que pour l’instant, tout ça, c’est des grosses hypothèses. Il faut, il faut débroussailler. C’est le travail du scientifique de comprendre ce qui se passe là-dedans. Est-ce que c’est vraiment le manque de sucre ou est-ce que c’est tout simplement autre chose ?

Caroline : Le manque de stimulation, peut-être, dont on parlait.

Geoffroy : Ouais, c’est des gens qui vivent quand même dans un milieu qui change peu, alors que dans la société occidentale on a plus tendance à bouger, à se déplacer dans différents pays. C’est des cultures différentes. Est-ce que ça a un effet ? C’est des choses qu’il faut commencer à regarder. Donc tout ça c’est en cours et il y a d’autres laboratoires qui, eux, s’intéressent vraiment aux organismes de la mer, par exemple le vieillissement chez les poissons, les crustacés. Donc il y a des choses très discutables, par exemple le vieillissement de l’hydre. Donc, c’est un animal que j’ai évoqué juste avant. C’est un organisme qui semble ne pas vieillir, l’espérance de vie est estimée à 1400 ans en laboratoire. Mais c’est une espérance, donc ça veut dire que c’est une moyenne et ça veut dire que, ça peut être plus. Donc, et on ne l’a pas mesuré.

Caroline : C’est-à-dire que pour l’instant, on ne sait pas.

Geoffroy : C’est des estimations. Donc c’est très débattu aussi. Ça a été publié dans « Nature », je crois. Encore une fois, est-ce que l’hydre vivait vraiment 1400 ans ? Et en milieu de laboratoire, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de prédateurs, c’est un milieu contrôlé de manière… température, humidité, etc. Donc, ça, c’est des estimations. Aujourd’hui, on essaye de comprendre un peu tout ça comment fonctionne. Chez les plantes, les plantes elles vieillissent peu un peu. C’est pareil. On regarde ce vieillissement. Elles ne courent pas le 100 mètres, donc elles ont d’autres types de performances qui est la photosynthèse, par exemple, le rendement de la photosynthèse, l’énergie qui est capturée et donc on a gardé tout cet aspect vieillissement. Et à partir de ça, il y a d’autres questions qui sont venues parce que ça n’arrête jamais. Donc, vous croyez avoir trouvé une réponse à une question, mais non, il y a plus de questions que de réponses. Et donc après, les sujets qui ont suivi derrière, c’est vraiment des problématiques liées à tout ce qui est réseau. Donc là, c’est les réseaux, les réseaux… alors, les réseaux en général, les réseaux sociaux, les réseaux de protéines, les réseaux de gènes.

Caroline : Tous les réseaux.

Geoffroy : Oui. Donc, en fait, dans la littérature, il se trouve que les réseaux ont des propriétés. Donc, oui, il se trouve que certains réseaux se ressemblent. Donc, par exemple, les réseaux de protéines et les réseaux de gènes, ils partagent certaines propriétés, on les appelle libres d’échelles ; donc c’est des réseaux complexes, ça veut dire qu’en gros, une petite portion du réseau a les mêmes propriétés que l’ensemble du réseau ; donc, ce qui fait qu’il n’y a pas de changement si on regarde le réseau de loin ou de près. Et donc ça, c’est intéressant parce que ces réseaux-là, ils sont des réseaux qui sont très présents dans la nature.

Caroline : Et quand tu dis réseau de protéines, pour bien comprendre ce que c’est exactement, ça représente quoi ?

Geoffroy : C’est le lien entre les protéines. Par exemple, les protéines sont liées et donc il y a un lien qui est entre chaque protéine. Donc, ça peut former un réseau. Et ce qui nous intéresse, c’est quand on a ce réseau-là, il y a transport de quantités physiques, par exemple les protéines elles échangent des quantités. Les personnes dans les réseaux sociaux, ils échangent des informations, donc il y a tout le temps des transports d’informations. Et nous ce qui nous intéresse, c’est quand on enlève des liens, que le réseau se casse la figure, qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce qu’un réseau qui a une certaine propriété physique, il résiste mieux qu’un réseau qui a une autre propriété physique ? Et c’est vrai pour les réseaux de sportifs dans les constructions d’équipe, par exemple. C’est pour ça qu’on s’intéresse aussi aux problématiques de réseaux. C’est que les sports… le coach, quand il construit une équipe, il ne sait pas tout de suite les meilleurs joueurs qu’il va avoir dans son équipe. Donc, il a un choix à faire parmi tout un ensemble de joueurs. Il teste des combinaisons, il permute des joueurs pour voir si dans un match… donc en fait, il a un réseau, il modifie ce réseau, il change des nœuds du réseau des gens en fait, il recrée des liens entre ces gens-là, et il y a des moments où il supprime des liens, il y a des moments où il en crée. Et nous c’est ça qui nous intéresse, c’est de voir un petit peu comment la dynamique du réseau elle évolue, et comment quand on supprime beaucoup le lien, est-ce qu’il y a une influence sur le réseau, sur la performance du réseau en termes de transport d’informations, et ce genre de questions. Et là, c’est encore pire. C’est que dès qu’on trouve quelque chose, on a encore plus de questions. C’est des choses que l’on comprend très mal actuellement. Donc, il y a eu vraiment dans les années 2005, 2010, il y avait vraiment un gros intérêt sur cette thématique des réseaux complexes. Aujourd’hui, on s’en écarte un petit peu, mais nous, on est resté dans ce champ-là parce qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne comprend pas. Et donc on regarde des évolutions, ce qu’on appelle des évolutions pseudodarwiniennes où en fait, on rajoute des liens, on supprime des liens, on modifie le réseau pour un petit peu voir comment ils se comportent. Et ça, ça va avoir un impact sur tout ce qui est, par exemple, le flux de personnes dans des structures. Si vous avez des structures qui échangent des personnes, par exemple quand vous avez un athlète qui vient d’un CREPS qui transite par un centre d’entraînement pour arriver à l’INSEP, il est passé, il a fait une trajectoire dans un réseau. Donc on a plein d’athlètes qui font des trajectoires dans ce réseau-là. Et des fois, il y a des liens qui disparaissent parce que le CREPS a changé, parce que l’entraîneur, il s’est déplacé d’un CREPS à l’autre. Et quand on modifie les propriétés de ce réseau, comment ça évolue, comment ça change la performance des athlètes ? Donc ça, c’est un gros premier chantier. Après, on a beaucoup d’autres chantiers maintenant, parce qu’il y a beaucoup d’étudiants qui viennent chez nous. Ça nous permet d’avoir, d’ouvrir plus de champs de recherche. On a des méthodes statistiques pour détection des valeurs anormales dans le suivi urinaire et sanguin, tout de suite quand je dis cela en pensant au dopage, ce qui est anormal chez les sportifs, ça pose question, mais nous, on fait ça plutôt du côté des pathologies pour essayer de détecter, prévenir la pathologie ou la blessure. En gros, on a notre ligne de base individuelle. Donc, quand vous allez au laboratoire, vous faites un prélèvement, on vous prend votre sang au moment de faire pipi dans un flacon et on regarde tout un ensemble de bios marqueurs. On vous dit « Bah non, vous êtes dans la norme ». Donc la norme, c’est une population qui est censée vous représenter. Et puis, quand vous sortez un petit peu du seuil, vous avez de l’or en gras sur la feuille. Et vous vous dites « Je ne suis pas dans la norme ». La norme aujourd’hui, c’est la médecine telle qu’on la connaît, c’est on vous compare à une population d’individus qui sont censés vous représenter. En réalité, on est tous très différents et notre norme à nous, elle varie parce qu’on varie, dans le temps, le cycle été-hiver. On varie aussi parce qu’on a des émotions ou parce qu’on montre en haut d’une montagne, il y a moins d’oxygène donc nos biomarqueurs changent ; et donc on a notre variation à nous et la variation des autres. Et on s’est rendu compte aujourd’hui que comparer notre variation à la variation des autres, ça induit énormément de biais. Et qu’en fait, on peut être un peu différent de la population, ce n’est pas grave. Donc, quand votre valeur en gras sur votre feuille elle est un petit peu différente de la norme, on vous dit, le médecin des fois il vous dit « ce n’est pas beaucoup, ce n’est pas trop écarté. Ce n’est pas grave ». C’est parce qu’il sait qu’en fait, on est tous très différents. Donc aujourd’hui, on a cette approche plutôt individualisée, c’est-à-dire qu’on garde vraiment une seule personne et on regarde un petit peu est-ce qu’il y a des valeurs qui sont anormales vis-à-vis de lui-même ? Donc, on en arrive à estimer sa variabilité. Et quand on est capable de voir qu’il y a une valeur qui sort de cette variabilité attendue, on va tout de suite voir le médecin. Est-ce qu’il a été s’entraîner en altitude ? Est-ce qu’il a été trop s’entraîner ? Est-ce que le volume, l’intensité de l’entraînement n’était pas un peu trop fort ? Est-ce qu’il y a une pathologie ? Est-ce que… ? Voilà, différents facteurs peuvent intervenir. Et l’idée c’est un peu de prévenir la blessure et aussi de pouvoir prévenir la pathologie. Et donc, c’est quelque chose qui est déclinable au niveau des centres de santé, donc les hôpitaux et les cliniques, ce genre de choses. On est vraiment dans cette phase nous où on pousse cette approche-là parce que l’on considère aujourd’hui que la médecine généralisée a fait son temps. C’est utile, c’est rapide, c’est peut-être un peu moins cher, je ne sais pas, en termes financiers, mais là, on pense qu’il y a un vrai potentiel au niveau de la médecine individualisée.

Caroline : Et si jamais, parce que là, sur les sportifs, vous connaissez du coup leurs bios marqueurs et vous connaissez, j’imagine que vous les testez très souvent, mais si jamais on apporte ça dans les hôpitaux, c’est plutôt public, si c’est l’idée, on va avoir du mal au final, il faudrait qu’on se fasse tester très régulièrement.

Geoffroy : Alors les sportifs sont suivis, mais pas si régulièrement que ça. Ils ont un prélèvement, ce qu’on avait été des footballeurs de Ligue élite 1 et 2. La Ligue… enfin ce que vous voyez à la télé. Et donc, on avait un prélèvement tous les 6 mois.

Caroline : Ah oui ? OK.

Geoffroy : Et ça suffit. Déjà, l’indépendance biologique, elle est de l’ordre de 6 ou 7 jours. Donc là, on était vraiment au-delà de l’indépendance biologique.

Caroline : C’est quoi l’indépendance biologique ?

Geoffroy : En fait, l’indépendance biologique, c’est quand on fait un prélèvement un jour et qu’on fait un prélèvement le lendemain. Il y a une influence quand même entre ce qu’on a consommé le jour, comme on était le jour J, et le jour J plus un. Donc c’est bien d’attendre un petit peu avant de faire un autre prélèvement. C’est pour être sûr qu’il n’y a pas de trop de lien entre les deux dates ; et donc sur ces athlètes-là, nous ce qui nous intéressait, c’était de regarder un petit peu comment… s’ils avaient beaucoup de valeurs anormales, comment ça se répartissaient dans les populations, et donc de tester et de faire un prof of concept en gros. Donc, on a publié l’article en 2018 et aujourd’hui, on est en train d’implémenter une application à l’INSEP, dans le centre de santé, pour qu’on puisse mieux suivre les athlètes. Et effectivement, il faudrait qu’on commence à contacter parce que c’est encore un dépôt, un brevet qui est en cours de dépôt aux Etats-Unis. Et l’idée, c’est de pouvoir avoir un centre de santé en essai, un hôpital ou une clinique pour voir un petit peu, en gros, quand on prélève des gens qui vont régulièrement à l’hôpital parce qu’ils ont une pathologie, de pouvoir avoir un suivi individualisé et surtout très précoce ; c’est-à-dire que dès que ça va changer et que ça va, ça va sortir de la variabilité individuelle, on sera capable de détecter et de dire aux médecins « voilà il se passe quelque chose ». C’est une aide à la décision pour le médecin, il va pouvoir dire « ah oui là, je suis d’accord, je vois qu’il se passe vraiment quelque chose »

ou alors « je suis capable de l’expliquer. C’est parce que j’ai supplémenté en fer, par exemple, et que le taux de fer a monté. ». Donc tout ça permet un meilleur suivi de la personne et d’être plus, comment dire, plus précoce dans la détection des pathologies, de pouvoir réagir plus vite, d’être moins biaisée par la population parce que les populations d’Usain Bolt il n’y en a pas, quand vous testez Usain Bolt, vous comparez à des normes de population qui sont pseudo Usain Bolt  bah non. C’est vrai pour chacun d’entre eux. Donc l’idée là, c’est que vraiment, cet aspect individuel et à côté de ça, on travaille sur d’autres aspects qui sont vraiment des aspects plutôt chiffrés. On a des données qui commencent à arriver. C’est un vrai sujet. En France, on est un petit peu lent en sport pour récupérer des données. On commence à s’y mettre, mais il y a un terrain qui n’est pas forcément propice à la récolte de données parce qu’on est plus concentré sur la performance de haut niveau. Donc on se dit les données, ce sera pour après ou ce sera plus tard. Par contre, ce n’est pas vrai partout, ce n’est pas un cadre général, mais on l’observe plutôt pas mal. Il y a d’autres personnes qui disent au contraire « Moi, je vais utiliser mes données pour améliorer mon athlète, mieux comprendre comment il fait sa performance » et donc, on commence à avoir des données qui arrivent. Il y a d’autres pays qui sont beaucoup plus en avance que nous sur ce sujet-là ; je pense à l’Angleterre, aux Etats-Unis, Canada, etc. Et avec ces données, on commence à réfléchir à des méthodes d’ingénierie qui sont plutôt proches de l’intelligence artificielle et d’essayer de comprendre un petit peu comment on peut développer des méthodes d’intelligence artificielle pour nous aider à prédire, par exemple, le taux de médailles habilité, le taux de réussite à la reproductibilité d’une performance, ce genre de choses.

Caroline : Et comment vous faites, si on rentre un petit peu là-dedans, quelles données vous regardez ? Quelles sont-elles vraiment ?

Geoffroy : C’est top secret. Je plaisante à peine.

Caroline : OK.

Geoffroy : On a un contrat avec le SNDS, donc c’est vraiment classifié.

Caroline : D’accord.

Geoffroy : C’est secret défense. Je ne sais pas si c’est le terme exact, mais l’idée, c’est qu’on a un ensemble de données qui sont disponibles partout, qu’on peut trouver librement sur Internet, etc qui est les données de performances enregistrées à tel championnat, etc. À côté de ça, on récupère des données sur site qui sont des données plutôt de santé, qui sont des données qu’on ne peut pas partager, évidemment. Les athlètes, ils ont un suivi psychologique. Qui est « Est-ce que ça va bien aujourd’hui ? Est-ce que ça ne va pas bien ? »Etc. Ils ont également un suivi nutritionnel. Donc « Qu’est-ce que tu as mangé à midi ? Est-ce que tu as mangé  beaucoup de sucre ou plutôt des protéines ? », ce genre de choses. Et l’idée, c’est qu’avec tous ces suivis, on arrive à comprendre un peu ce qui se passe au niveau de leur biologie, pour chaque personne, parce que chaque personne est différente. Et donc, ces données-là, elles sont utilisées pour essayer de comprendre, est-ce qu’on doit, par exemple, changer le régime nutritionnel, adapter le suivi psychologique ou ce genre de choses. Et donc, avec toutes ces données-là, on essaye de trouver des méthodes qui sont soit des méthodes statistiques boîte blanche, c’est-à-dire que l’on comprend parfaitement comment elles fonctionnent, soit des méthodes de boites noires qui sont plutôt proches de l’intelligence artificielle pour savoir est-ce qu’il y a un algorithme qui peut nous aider à trouver des directions pour améliorer, par exemple, un athlète, pour pouvoir essayer de prédire est-ce que si on change tel paramètre de l’athlète, comment ça va évoluer, etc.

Caroline : D’accord. Ce qui est hyper intéressant, c’est que vous vous intéressez à tous ces aspects-là pour déterminer la probabilité de médailles et donc les performances d’un athlète, et voir est-ce que… attends je vais reformuler ma question. En fait, ce que je trouve hyper intéressant, c’est que vous êtes sur l’individu, et pourtant, vous allez essayer de dupliquer le schéma à échelle supérieur. Mais, donc il n’y a pas de population test comme ce dont tu parlais tout à l’heure en fait.

Geoffroy : Non.

Caroline : Vous prenez là les personnes qui sont, qui ont, par exemple, si on prend le régime nutritionnel. Mais bon, on sait que, il faut, je ne sais pas… Elles ont à peu près toutes le même régime nutritionnel. Elles ne vont pas s’écarter de ça, en fait. Donc le test est au final intéressant, mais limité.

Geoffroy : En fait, les individus peuvent être très différents. C’est-à-dire que quand on dit que le menu c’est le même pour tout le monde, pas tant que ça. Ça, c’était l’approche des années 70, 80, du siècle dernier. Aujourd’hui, on se rend compte que les athlètes, il faut qu’ils mangent. Par exemple, quand ils ont des catégories de poids, il faut qu’ils mangent que du gras pour changer de catégorie s’ils veulent être plus lourds, etc. Et dans les athlètes de la même catégorie de poids, il y a aussi des variabilités parce que le corps, il ne réagit pas pareil, ça, tout le monde l’a déjà…

Caroline : Bien sûr.

Geoffroy : Quand je mange plein de gras, je vais grossir plus vite que l’autre. Ce n’est pas juste… c’est vrai aussi chez les athlètes de haut niveau, c’est pareil. C’est que la création, la genèse du gras, elle n’est pas identique, la vitesse pareil que chez les autres. Donc là, il y a des adaptations à faire et aujourd’hui, on est dans des techs bien marginaux en termes de performance, le moindre apport pour l’athlète, ça va lui permettre d’améliorer sa performance et d’être compétitif.

Caroline : D’accord. Et ça, vous vraiment, vous l’analysez ? Vous essayez de modéliser ça ?

Geoffroy : Oui. Alors, l’étape aujourd’hui, c’est le recueil de données.

Caroline : D’accord.

Geoffroy : On a déjà les algorithmes, tout ce qui est math, c’est très facile à faire. C’est très facile. C’est une méthode, c’est une discipline qui est facile à mettre en place parce qu’on peut utiliser des données simulées pour comprendre nos algorithmes. Après le recueil des données chez les athlètes, ça doit respecter le RGPD, ça doit respecter tout un protocole qui est très strict en termes de recueil de données et c’est beaucoup plus long. Il y a des pays comme l’Islande, qui n’ont pas les contraintes juridiques du RGPD, au Canada notamment, où on leur dit le matin, on fait pipi dans le flacon, le soir on fait pipi dans le flacon. Tous les athlètes le font et ne se posent pas de question. Nous, en France, on a plus de difficulté à mettre en place parce que c’est notre contexte, le contexte juridique et législatif qui fait qu’on doit avoir le consentement éclairé des athlètes. Mais c’est en train de se mettre en ordre de marche.

Caroline : Et c’est une étude qui est menée depuis quand ? Jusqu’à quand ?

Geoffroy : En fait, c’est ce qu’on appelle le sport data hub. Donc c’est quelque chose qui est mis en place à travers plusieurs agences du sport pour essayer de centraliser un peu les données des athlètes et de pouvoir essayer de les aider, de comprendre, par exemple, quand ils se blessent plusieurs fois à la cheville, est-ce que c’est postural ? Est-ce que finalement, on peut l’aider à trouver une autre solution ? Est-ce que… donc, il y a les données de santé de kiné aussi ? Et l’idée, c’est à travers toutes ces données, essayer d’apporter une aide à l’athlète, tant au niveau de la prévention de la blessure. C’est vraiment ça qui nous intéresse parce que quand l’athlète est blessé, il n’est pas performant, il est à l’arrêt ; et ça a un coût financier pour les clubs de foot, par exemple, ou le basket, puisque leur athlète n’est pas productif. Nous, on a plus l’idée d’accompagner l’athlète pour qu’il soit toujours en bonne santé et donc, du coup, prévenir les blessures. Et ça, probablement aussi, il n’y en a pas que moi, je vais faire une grosse hypothèse sur le reste de leur vie parce que si on est, si on arrive à prévenir la blessure régulièrement, on sera capable de les accompagner en bonne santé jusqu’au jusqu’à ce qu’ils soient à la retraite, entre guillemets, autour de 30 ans et donc après, ils sont encore en pleine forme ; ils ne sont pas trop cassés, entre guillemets, même si on sait aujourd’hui que les individus qui sont classés au haut niveau sont quand même en meilleure santé que les individus qui ne font pas de sport.

Caroline : D’accord.

Geoffrey : Pour ça, il y a plein d’études qui sont en train de converger dans cette direction-là. En gros, même si vous vous blessez au sport de manière récurrente, même si vous vous êtes cassé la jambe, etc. En gros, si vous continuez à faire du sport quand vous vieillissez, ça aura une incidence sur votre qualité de vie.

Caroline : Est-ce qu’on l’explique, pourquoi ? Parce qu’il y a une convergence, est-ce qu’on sait pourquoi ?

Geoffroy : Alors, on regarde tous les aspects possibles au niveau de la santé. Il y a probablement tout ce qui est lié à la prise de poids ou la perte de muscles, donc à la sarcopénie qui intervient quand on vieillit, c’est la perte des fibres musculaires, qui apparaît parce qu’on vieillit et donc on retombe. Par exemple, quand on pratique le sport, ça aide à lutter contre la sarcopénie. Il y a également la prise de poids qu’on arrive à moduler si on continue à faire du sport. Donc ça, c’est des paramètres qui sont importants, qu’on peut mesurer. Il y a plein d’autres choses qu’on mesure par ailleurs, parce que quand on se met à marcher, l’organisme, il se met en route. Il se passe tout plein de choses au niveau du cerveau, au niveau des muscles, au niveau de la posture, etc. Et c’est les choses qui sont positives et que voilà. Quand on va aux conférences, dans les grosses conférences médicales, aujourd’hui, le mot d’ordre, c’est que même si on a fait du sport de haut niveau, qu’on a été blessé plusieurs fois, qu’on s’est fait les ligaments croisés, on arrive quand même à avoir une qualité de vie qui est quand même relativement bonne, comparé à une population qui est plutôt très sédentaire.

Caroline : D’accord. OK. Parfait. Et sur, si jamais on… je sais que tu as aussi regardé certaines études sur l’âge optimal, donc des performances, ça on en a parlé, sur tout ce qui est vieillissement et longévité. Est-ce qu’aujourd’hui, il y a des choses, donc, vous vous intéressez à une population de sportifs, et donc beaucoup à tout ce qui est performance, mais si jamais on regarde une population qui n’est pas forcément sportive ou sportive de haut niveau, est-ce qu’il y a des choses que vous avez constatées sur nos performances ? Des choses à mettre en place peut être pour, dans le quotidien de personnes, pour les aider à…

Geoffroy : alors on a eu une étude pilote il y a quelques années, ça va faire dix ans maintenant. Le temps passe vite. Et donc il se trouve que, en fait, on avait fait une étude avec Renault où on prenait des individus qui avaient des lombalgies, des individus qui travaillaient dans des chaînes de production. Donc, c’est un mouvement qui est répétitif, qui n’est pas forcément bon pour la santé puisqu’on répète toujours le même mouvement. Ça entraîne des stress qui finissent par entraîner des tendinites ou ce genre de blessure. Et donc, l’idée, c’était qu’on avait un groupe qui faisait des étirements et des activités physiques, mais pas du haut niveau. C’était vraiment de l’activité physique très tranquille, de la marche ou les courses à petite vitesse, et on avait un groupe contrôle qui faisait comme d’habitude. Et en gros, on s’est aperçu que pour le groupe qui faisait un peu d’activité physique, le taux de récidive des blessures était moindre et ils se sentaient, globalement, la déclaration, c’était qu’on se sentait en meilleure forme, donc le déclaratif était positif. Donc ça, c’est intéressant. C’est-à-dire que déjà, il y a un effet psychologique, peut-être que c’est un placebo ou pas, mais en tout cas, ils se sentent mieux dans la peau. Ils ont dit « J’ai bougé régulièrement. Je me sens mieux à la chaîne » ; et il y a certainement un effet mesuré, en tout cas, qui est celui de « Je ne suis pas retourné en arrêt maladie parce que je n’ai pas été reblessé ». Et donc là, on peut peut-être inférer le fait qu’il y ait un effet de cause que le fait de faire des étirements, tout ça, ça aide finalement le corps à évacuer un peu ce stress postural, ce stress articulaire, etc. Et du fait de que ça relève peut-être un peu les conditions et les contraintes qu’on impose au corps pendant toute la journée.

Caroline : Et ça, c’est également des paramètres. Du coup, vous mesurez  pour les sportifs, quand vous regardez…

Geoffroy : Les sportifs, on regarde tout.

Caroline : Oui, oui, tout vraiment. C’est pour ça que je te demandais quelles sont les données vraiment que vous analysez. Parce que, on ne se rend pas compte, je pense, de tout ce que vous analysez dans leur vie.

Geoffroy : Alors, je ne sais pas si eux s’en rendent compte, parce que l’idée, c’est quand même qu’on les informe eux de ce qu’on fait en leur disant voilà « Tu as un suivi psychologique, tu as une aide à la préparation mentale, etc ». Mais en fait, tout ça, on recueille ces données parce que ça va permettre de… ça en fait, aujourd’hui, les athlètes n’ont pas trop le temps de suivre un cours. On leur explique alors qu’ils ont un emploi du temps qui est complètement délirant. Ils se lèvent et font du sport et se couchent ils viennent d’arrêter le sport et ils font ça six jours sur sept, donc ils n’ont jamais de repos. Ils ont le double projet en même temps, ils font des études, donc c’est compliqué. Donc l’idée, c’est quand même qu’on les informe à travers des écrits en leur disant voilà, on recueille des données sanguines. Pourquoi on fait ça ? Parce que ça va nous permettre de voir si le taux de fer, par exemple, il est bon parce que pour les menstruations féminines, normalement, il y a une perte de fer, donc, est-ce qu’on doit supplémenter pour toi ou est-ce que tu supplémentes naturellement avec ton apport nutritionnel ? Voilà, tout ça donc il faudrait qu’on leur explique que ça va leur servir à eux. Parce que quand on a un taux de fer qui a est un peu en dessous, le taux nominal chez chaque individu, ils sont un peu patraques. C’est plus difficile de se bouger et ça, c’est important pour l’individu, pour l’athlète. Il faudrait qu’on arrive à leur restituer cette information. On essaye aujourd’hui de sensibiliser les entraîneurs en leur disant « voilà, chez vos athlètes on prend toutes ces données-là parce que ça va nous permettre de faire ça ». Aujourd’hui, le discours, il n’est pas fluide parce que les entraîneurs ont eu plusieurs déceptions sur des études qui étaient vraiment peut-être trop méthodologiques, qu’ils ne comprenaient pas le fonctionnement ou que ça ne leur rapporte tout simplement pas grand-chose. Et donc, aujourd’hui, on essaie vraiment de revenir vers eux en leur disant voilà, il y a vraiment beaucoup de choses à faire. On peut vous apporter des réponses à vos questions à vous par des questions qu’on se pose nous, les chercheurs. Et donc il y a plein d’initiatives qui se montent en France, notamment avec la Société française de statistique qui a un groupe Stat et Sport, qui réfléchit à ces questions-là et qui tiendra son séminaire à l’INSEP d’ailleurs en fin d’année. Donc, il y a un partenariat de INSEP — SNDS qui est autour de comment la statistique peut vous apporter une réponse à une question que vous vous poser dans le sport, pour entraîneur.

Caroline : accessible à tous ?

Geoffroy : Je pense que oui, complètement. C’est accessible à tous. On a le séminaire de l’année dernière, en décembre 2021. Il était accessible à tous et il y avait eu des gens, des profs de sport, pas des chercheurs qui étaient venus présenter tout simplement leurs problèmes, qui étaient venus présenter leurs réflexions en disant « Voilà mes athlètes, ils font ça. Je ne comprends pas pourquoi ils se blessent là, je ne comprends pas pourquoi. Est-ce qu’on est capable d’identifier un lien avec d’autres données, etc. Comment vous pouvez m’aider ? ». C’est ça l’idée. C’est vraiment qu’il y ait un échange et qu’on puisse apporter pour nos entraîneurs français une réponse. Après la séance, c’est au-delà des frontières, il y a des étrangers qui viennent aussi et on échange après. Dans le monde du sport, il y a quand même un aspect compétitif au niveau de la recherche, on partage tout. Mais par exemple, à l’INSEP, on a des choses qui ne sont pas ouvertes aux étrangers parce que c’est quand même un l’intérêt de la nation de pouvoir donner des médailles d’or aux athlètes français.

Caroline : Le programme secret défense.

Geoffroy : Ça, ça fait longtemps que ça existe. C’est juste que si on commence à tout partager, on s’expose à ce que les autres pays reprennent notre technologie, l’améliore et puis nous on n’aura pas les bénéfices. Mais ça, c’est compréhensible. Et de toute façon, ce sont des choses qui sont axées sur la performance de très haut niveau. Pour tout ce qui est population générale, on partage. Il n’y a pas de sujet à là-dessus c’est…

Caroline : J’allais te demander est-ce que pour la population générale, comme tu l’appelles, je ne savais pas quel terme employer donc c’est parfait, est-ce qu’il y a des modèles qui existent, qui sont accessibles ? Si on a envie de tester un petit peu ce qu’on fait dans notre quotidien en fait et de se dire bon voilà je… ouais ça m’intéressait à titre personnel de me dire oui j’ai besoin de me supplémenter en fer, bon OK il faut une prise de sang, etc ; mais est-ce qu’il y a d’autres modèles qui existent avec d’autres données qu’on pourrait mesurer tous les jours si on en a envie ? Est-ce que ces modèles sont disponibles ?

Geoffroy : Alors oui, on a travaillé avec de grosses boites, les assurances, il y avait Generali et Running Heroes. Tout ça, c’est dans l’objectif de la prévention. En gros, c’est l’idée de prévention de l’arrêt maladie, si le contrat est arrêté l’assurance, elle perd de l’argent, etc., quand vous vous blessez. Donc l’idée c’est ce qu’en recueillant des données à travers des applications de running, on peut lire des choses. Donc actuellement aujourd’hui on en est où tout le monde a des petites montres connectées, des objets connectés, donc c’est des smartphones, etc. On est capable… tu paies quand même un paquet de données, tu paies la vitesse, la spatialisation donc, où est-ce qu’on est dans l’espace ? On peut, il y a plein de choses et le rythme cardiaque maintenant qu’on commence à récupérer, la température du corps, je pars peut-être un peu loin, mais…

Caroline : Je me posais la question. Ça fait partie d’une des choses que j’ai notées. Comment, aujourd’hui, on peut mesurer la température de son corps ?

Geoffroy : Je ne sais pas si on peut citer beaucoup de marques dans l’interview, mais…

Caroline : Oui tu peux.

Geoffroy : Parce que Garmin fait des choses où il y a la montre connectée. Je crois qu’il y a des modèles qui commencent à prélever des tas de choses.

Caroline : Moi, j’en ai une qui fait énormément de choses, oui.

Geoffroy : Donc, il y a le rythme cardiaque. Ça, c’est à peu près pour tous les modèles. Et après, il faudrait voir ce qu’il arrive vraiment à récupérer. Nous, ce qu’on a fait avec un simple podomètre, on a fait une étude avec la RATP sur 5 jours, on a pris un odomètre. Donc, en fait, ça mesure les distances, c’est une petite roue qui tourne et qu’on pousse. Donc en fait, pourquoi je dis ça ? C’est parce que l’idée, c’était d’avoir une mesure d’un effort fait, ça peut être une montre, etc. Et d’essayer d’en déduire un aspect sur la santé à travers simplement je mesure ma distance parcourue, tout simplement dans la journée, nombre de pas. Ce qu’on fait, ce qu’on parle habituellement, c’est le nombre de pas, 10 000 pas par jour. Est-ce que quand j’ai fait mes 10 000 je suis en meilleure santé que quand je n’ai pas fait mes 10 000 pas, etc. C’est ça l’idée globale. On a des petits appareils connectés qui nous donnent une indication « Est-ce que j’ai bien marché ? Est-ce que j’ai bien bu ? Est-ce que j’ai bien transpiré ou pas ? Est-ce que mon rythme cardiaque est bien monté ? Etc. Donc, on a fait des études avec la RATP, parce que la RATP se disait les gens qui marchent dans les correspondances, qui se mettent debout dans l’escalator, qui ne montent pas les marches, qui restent debout dans les transports, ou assis dans les transports, ils ont une dépense calorique qui est supérieure à la personne qui est assise dans la voiture et qui fait son trajet en voiture. Donc, l’idée, c’était de démontrer la dépense calorique dans les transports en commun, supérieure à la dépense calorique dans la voiture, mais globalement… mais c’est le mec qui est dans sa voiture, il se dépense pas du tout, le mec qui est en transport en commun, il peut marcher, les marches des escalators sont hautes, donc on fait un effort plus grand, même si l’escalator nous emmène en même temps. Est-ce que si on prend les marches plutôt que l’escalator, est-ce que la distance dans la correspondance de Montparnasse qui est extrêmement longue, quand on mesure la distance, ça un effet ? Donc, on a passé une semaine avec la petite roue qu’on pousse pour mesurer tout simplement les distances parcourues par les voyageurs, entre leurs points d’entrée et leurs points de sortie. Et donc on a fait ça, on a mesuré pas mal de distance ; 5 jours on peut faire des choses et on s’est dit, mais en regardant la population générale, est-ce que les gens qui sont dans les transports en commun, qui prennent ces grandes distances où ils marchent en fait parce qu’ils doivent marcher des courses longues, ce n’est pas le tapis roulant, ils doivent marcher quand même une certaine distance, est-ce que ça a un effet quand on regarde ces gens-là et la population qui prend la voiture. Et donc la RATP, nous on a donné les données à la RATP qu’on a été saisir. On a fait des analyses statistiques et on s’est rendu compte que c’est 0 effet. C’est dommage, pas de pot, ce n’est pas du tout marketable. 0 marketing. Ce n’est pas possible de vendre l’idée ; en disant, possible de faire l’affichage « Prenez le transport, vous allez dépenser plus ». Ça ne marche pas. Et tout simplement parce qu’en voiture, on passe beaucoup de temps à être attentif. Et en fait, le cerveau fonctionne beaucoup et ça a une dépense énergétique. Et donc, en fait, la dépense était à peu près similaire.

Caroline : D’accord, c’est drôle.

Geoffroy : Oui, c’est amusant. On était vraiment convaincu que le transport en commun était plus fatigant parce que quand on prend les marches, quand on prend l’escalator, les marches sont hautes, souvent on reste debout, on attend debout que le train ou le métro arrive, et donc, en fait, ça a une incidence sur notre dépense énergétique. On se sent fatigué, etc. La voiture, c’est à peu près pareil parce que le stress des bouchons, le stress de… le feu rouge, il faut que j’attende, il faut que j’accélère.

Caroline : Après, il y a peut-être d’autres paramètres qui ont été impactés de type sur la masse musculaire, par exemple, qui pourrait être impactée sur la population qui marche et qui prend les transports versus la population qui est dans la voiture, mais…

Geoffroy : Pilote. On n’a pas été jusque-là, mais le résultat était nul, entre guillemets ils sont identiques.

Caroline : Et si on pouvait individualiser, tu vois donc ce que tu disais par rapport aux montres connectées qui existent aujourd’hui, de se dire voilà, je sais que j’ai mon rythme cardiaque tous les jours. Est-ce que j’ai des modèles accessibles pour ou est-ce qu’il faut que je modélise moi-même ? Parce que ce n’est pas forcément évident, ce n’est pas mon métier, ce n’est pas de là où je viens de conceptualiser quelque chose pour avoir justement un modèle qui puisse me dire  « Attention, là tu as peut-être moins bien dormi » tu vois, c’est ce que fait peut-être Withings, notamment, « Tu as un petit peu moins dormi, tu as ton rythme cardiaque, qui a un peu augmenté », etc. Est-ce que ces modèles-là sont disponibles ou non ? Il faut quand même se restreindre, alors autant les enregistrer un peu de manière automatique, je pense que ça doit être possible. Mais par contre, les analyser ensuite derrière ça c’est plus compliqué.

Geoffroy : Alors il y a déjà beaucoup de… alors les petits… tu as cité Withings ? Il propose des statistiques entre guillemets.

Caroline : Oui, mais c’est leur statistique.

Geoffroy : Voilà. En fait, on n’a pas accès parce que ça fait partie de leur business.

Caroline : Complètement.

Geoffroy : Donc ils ne partagent pas leurs stats en disant « voilà, on a calculé ça comme ça, on a fait ça comme ça ». Donc nous, on ne peut qu’inférer de savoir ce qu’ils ont fait. Globalement, nous, l’expérience qu’on a avec, avec EVA INGRESOS par exemple, qui voulait vraiment, à partir des données de course, pouvoir créer des modèles pour dire « bah voilà là il faudra que tu cours plus ou moins pour que tu sois en bonne santé ». Quand on a fait ça, le recul qu’on a aujourd’hui, c’est qu’il manque des données parce qu’on a que certaines données. Donc ça peut être des données de fréquence pas, ce genre de données qui sont vraiment des données de recueil de données sportives in situ. Et après, il nous manque tout le reste. Donc on ne sait pas ce que la personne mange, on ne sait pas comment se sent la personne, si elle a bien dormi. Maintenant, on peut le savoir au niveau du sommeil, le problème, c’est que ces gens-là ne sont pas non plus des… ce n’est pas forcément des chercheurs, entre guillemets. Ils utilisent des statistiques qui sont simples et qui sont peut-être populationnelles encore une fois. Donc, je ne connais pas ce qu’ils font, mais je pense que c’est quand même assez limité.

Caroline : Oui, oui,.

Geoffroy : Je ne me fie déjà pas du tout aux capteurs qu’ils proposent, parce qu’on a testé des podomètres à l’INSEP, on a testé des tas de choses, il y a des relevés enfin, des capteurs GPS, ce genre de choses pour voir est-ce que la distance estimée elle est bonne ? Est-ce que la vitesse estimée, du coup, elle est bonne aussi ? Et on a toujours des mauvaises surprises. Pour l’instant, on n’a pas de capteurs qui sont vraiment…

Caroline : C’est ce que j’allais dire. Est-ce qu’il y en a un allez… vraiment super fiable ?

Geoffroy : On a pris un podomètre du commerce, qui n’était pas trop mal classé, qui était dans la moyenne, il comptait deux pas quand on en faisait un.

Caroline : D’accord.

Geoffroy : Ça multiplie par deux la distance parcourue, ce qui est quand même un peu embêtant.

Caroline : Ouais, ouais.

Geoffroy : Donc, là, on se dit bon aujourd’hui, c’est quand même un outil un peu important parce que la personne, même si c’est multiplié ou divisé par un facteur, ça permet d’avoir un ordre de grandeur. Donc, c’est quand même utile. Mais il nous manque quand même le côté très précis et des capteurs si précis, ça coûte cher. Donc là, c’est déjà bien qu’on puisse avoir des capteurs qui nous donnent un ordre de grandeur en disant voilà mon taux de… Alors, il parlait de mesurer aussi des taux de fer ou des taux de sucre dans le sang à travers ses prises in vivo. Je ne sais plus où est-ce que j’ai vu ça.

Caroline : Oui, j’en ai un, j’ai un capteur de taux de glucose sur moi là.

Geoffroy : Ça, ça… alors je ne sais pas, au niveau médical, il y en a ceux qui sont plus précis que ceux qui sont vendus dans le commerce parce que tout de suite, au niveau médical, on est sur d’autres…

Caroline : Complètement.

Geoffroy :… aspects financiers, qui sont… les appareils médicaux sont plus précis parce qu’ils ont besoin d’avoir une précision, ils sont plus chers parce qu’ils quand même besoin d’avoir une précision quand même très fine, alors que dans le commerce, on a des choses qui sont quand même plus lâches au terme, parce que tout de suite, ça revient cher. Par exemple une montre à 2000 euros parce que le capteur GPS, il a une précision de 1 cm, puis l’individu, il n’en aura peut-être pas besoin.

Caroline : j’allais dire, et pourquoi pas ? Parce que si on en vient à… santé dont tu parlais et au fait qu’on individualise et qu’on arrivera à individualiser, est-ce que ce n’est pas une bonne chose au final ?

Geoffroy : Pour les gens que ça intéresse, je pense que c’est très bien. Moi, ça m’intéresserait par exemple.

Caroline : C’est ça. Donc pourquoi pas au final dépenser 2 000 euros pour avoir un super capteur ?

Geoffroy : C’est vrai. Il faut les avoir. Là en ce moment, l’essence, tout ça, c’est cher. Donc il vaut mieux investir notre argent ailleurs.

Caroline : Oui, mais après, investir sur la santé à long terme donc…

Geoffroy : Effectivement, à long terme, ça va baisser. Les coûts baissent toujours parce que la technologie évolue. Donc, on peut très bien se dire que la technologie va évoluer, qu’on aura des capteurs de plus en plus précis. C’est ce qu’on espère. Et donc, par exemple, moi, quand je fais mon fractionné en côte, ce qui est un exercice complètement horrible…

Caroline : Oui, j’allais le dire déjà le fractionné ce n’est pas très drôle et en plus rajouter de la côte ce n’est pas génial.

Geoffroy : J’adorerais avoir des précisions sur mon état de forme quand je le fais, je me sens mal après, est-ce que ça m’a fait du bien de se sentir mal ou est-ce qu’au contraire, je suis vraiment mal ? Donc oui, ça, ça me ferait plaisir. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui seraient intéressés aujourd’hui par… les mobilités actives prennent beaucoup d’importance aujourd’hui dans notre quotidien. La trottinette ou le vélo, électrique ou pas, et ça fait partie des choses… les gens se mettent à bouger et on se dit peut-être qu’ils sont intéressés pour avoir des données sur leur état de santé en disant « mais je me sens mieux depuis que je prends le vélo », etc. On voit que ça a un effet psychologique.

Caroline : C’est ça, moi qui m’intéresse énormément. Comment peut-on le mesurer quand on n’a pas vos outils en fait ?

Geoffroy : C’est du déclaratif, c’est quand… pour la population, elle déclare… déclaratif c’est toujours très difficile parce qu’il y a un gros biais puisque dans le déclaratif « il fait beau, alors je me sens bien ». En fait, non, peut-être pas forcément. Et du coup, il faut faire attention à ça, dans tout, on a beaucoup de données déclaratives. C’est très problématique parce qu’on aimerait avoir des données biologiques plus objectives, moins subjectives. Et du coup, le problème, c’est que quand le subjectif il rentre en ligne de compte, c’est toujours entaché d’un biais qui n’est pas mesurable finement. Et du coup, oui il faut voir des données de capteurs qui soient objectives, ce serait chouette.

Caroline : Et tu penses que dans les prochaines années, on va arriver à un moment donné, que ce soit à court terme, moyen terme, long terme  je ne sais pas, vraiment avec ces hubs de santé où on aura tous beaucoup plus de capteurs, beaucoup plus d’analyses et de données sur nous-mêmes ?

Geoffroy : Actuellement, je ne sais pas vers quoi on se dirige. En fait, tout le monde change tellement vite que ce serait l’idée générale. Mais actuellement, on a des problématiques qui sont vraiment cruciales pour notre civilisation que ce soit le changement climatique, ça bouge très vite. On voit que la nature s’adapte très vite aux contraintes qu’on lui fait subir et en retour, elle nous donne des tempêtes, il se passe plein de trucs. Est-ce que le sport doit encore être au centre de notre intérêt ? Voilà, c’est des questions qu’on se pose qui sont légitimes, on a une grosse problématique qui nous tombe sur la tête, le ciel nous tombe sur la tête. Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on continue à courir le 100 mètres ou pas ? Comme je disais, je pense que c’est important de libérer son esprit un peu. Mais oui, donc l’idée  ce serait de continuer dans cette direction et d’essayer de penser, d’espérer qu’on puisse avoir des capteurs plus fins. A priori, on arrive quand même à poursuivre notre société un peu dans son état actuel. Est-ce que c’est durable ou pas ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, on peut espérer que tout cet aspect technologique se diffuse dans la population et que le progrès continue sa marche.

Caroline : Et c’est ce que j’allais dire. En tout cas, toi, tu es procapteur, on va dire ça comme ça, je ne sais pas si…

Geoffroy : Personnellement, je ne sais pas si je suis pro capteur.

Caroline : C’est ce que j’allais te demander en fait.

Geoffroy : Moi, je suis pour… j’aime bien la nature, j’aime bien les gens. Je pense qu’on a tous notre place au sein de la planète et donc, est-ce qu’on doit s’adapter ? Est-ce qu’on doit consommer moins ? Ça, c’est des vraies questions. Est-ce que le sport… parce qu’il y a des vraies questions environnementales au niveau du sport ; parce que les J.O. par exemple, un pays qui organise des J.O., ça a un coût écologique et environnemental. On ne dit pas c’est très très peu médiatisé, mais ça implique beaucoup de déplacements, une forme de pollution sur le site. Aujourd’hui, il y a des études qui sont en littérature, qui disent que ce n’est pas neutre, c’est plutôt négatif. Donc aujourd’hui, on parle des JO de Paris 2024, on dit voilà, ce sera des J.O., comment ils appellent ça… « L’héritage ». L’idée, c’est que tout ce qu’on construit là, ça a une durée pérenne. Si on construit un centre nautique qui sera utilisé après par d’autres personnes qui seront la population locale ou pas, et que ce ne sera pas un centre qui va être construit pour les JO, qui après sera détruit ou laissé comme ça. Donc, l’idée, c’est de valoriser un peu de tout ce qu’on met en avant pour les J.O. et que ça a une durée dans le temps. Donc, c’est une approche qui est plutôt sensée et qui est logique puisqu’on ne construit pas un truc juste pour un événement, pour les subventions. Et l’idée, c’est de minimiser un peu cette empreinte environnementale. Donc, ça me semble pertinent. Après, je ne sais pas si les J.O. d’après seront aussi verts entre guillemets. Je pense qu’on ne sera pas complètement vert, mais on tend vers cet objectif. C’est quand même en soi déjà une bonne chose.

Caroline : C’est drôle que… ça me perturbe, on va dire ça comme ça, ton approche par rapport à… donc ce que tu fais au quotidien qui est de mesurer des performances, etc. Et le fait que toi, tu sois… tu ne saches pas en fait, tu me dis en gros je ne sais pas est-ce que les capteurs, c’est une bonne chose ou pas au final, ça me perturbe un petit peu.

Geoffroy : Alors, il y a deux choses. Il y a de l’aspect professionnel en se disant voilà, c’est forcément, les capteurs plus précis ce serait plus utile, pour ça il n’y a pas de questions à se poser.

Caroline : Oui, mais là, tu es sur du professionnel, en effet.

Geoffroy : Mais d’un point de vue personnel, on se dit qu’on a d’autres chats à fouetter ailleurs.

Caroline : D’accord, OK, c’est plus ça.

Geoffroy : Est-ce que ça vaut le coup ? Est-ce qu’on a encore un intérêt à continuer à produire des choses qui n’auront une utilité que vraiment, dans par exemple, pour un sportif de haut niveau, alors qu’à côté, on a des grosses questions énormes qui nous arrivent sur la figure ? D’un point de vue personnel, je peux me poser la question.

Caroline : Oui, oui, j’entends. Je comprends mieux.

Geoffroy : Je suis complètement d’accord qu’un outil GPS très fin, ça va nous permettre de faire des calculs d’une manière de folie. Même moi, je serais très content. Je fais des jeux de simulation de marche aléatoire dans des espaces, donc je me dis si j’ai des données très fines là-dessus, je vais pouvoir affiner mes modèles. Ça va être vraiment génial. Et d’un autre côté, je me dis est-ce que d’avoir ce capteur-là, dans mes conseils ça va m’aider, mais est-ce qu’on n’aurait pas dû mettre cette énergie ailleurs, tout ça ? Je pense que tout le monde se pose plus ou moins cette question-là. Quand on voit les gens qui vont dans l’espace, ça revient toujours à cette question-là. C’est, on met beaucoup de budgets là, est-ce que… mais on ne se rend pas compte que ça va avoir un retour positif, c’est-à-dire quelque chose qu’on va développer dans le cadre d’un trajet vers l’espace, elles peuvent nous retomber à travers des outils technologiques qui nous seront utiles ; ça peut être les micro-ondes, ça peut être d’autre chose par ailleurs. Des choses qui vont avoir un intérêt tous les jours, qui permettent de chauffer plus rapidement, faire des économies d’énergie, donc c’est aussi positif.

Caroline : Oui, en fait je voyais l’aspect plutôt capteur pour impacter la population en fait et la santé de la population d’une manière générale. C’est pour ça que j’avais du mal à saisir. Tu vois en fait entre l’aspect professionnel et l’aspect…

Geoffroy :… perso.

Caroline : Est-ce que oui ou non tu es pour les capteurs globalement, mais je comprends beaucoup mieux ton approche.

Geoffroy : J’aime bien avoir un capteur quand je fais un fractionné en côte. Et après, je me dis aujourd’hui, je m’en sers pas donc est-ce que j’en ai vraiment besoin ?

Caroline : Oui, mais tu pourrais aussi t’en servir pour te dire que je suis en meilleure santé, donc il y a un problème qui est moindre. Et donc, au final, je tends vers quelque chose qui est positif.

Geoffroy : C’est possible. Je venais pour voir si vraiment ça m’est utile et que je fasse un meilleur travail. Je suis un chercheur, à partir du moment où je vais avoir mes données, je vais aller regarder si ça va impacter ma course, si… C’est un raisonnement de la vie, quoi.

Caroline : Et tu ne le fais pas aujourd’hui, dans ton côté perso.

Geoffroy : Alors ça m’arrive, mais pas tout le temps. J’ai un problème d’humidité dans ma maison, donc j’ai fait des mesures par heure pendant un mois pour voir. C’est une démarche… c’est une démarche personnelle qui vient du monde professionnel et qui je pense c’est une déviation, je ne sais plus comment on appelle ça, qui transpire sur ma vie personnelle, mais ça m’aide pour le coup à comprendre l’humidité, je comprends mieux l’humidité. Je suis ravi.

Caroline : OK, génial. Écoute je pense qu’on a bien abordé tous les sujets en tout cas que j’avais en tête. J’aime bien terminer mes échanges par une petite question. C’est est-ce que si tu avais un conseil, un hack, comme j’aime bien appeler ça, pour les personnes qui nous écoutent, pour aller impacter leurs performances au quotidien, sportives ou pas, mais pour impacter leurs performances, et peut-être un petit peu de longévité, ce serait quoi ?

Geoffroy : Alors, pour la longévité, c’est assez facile. C’est ce que dit la télé. C’est manger, bouger.

Caroline : OK.

Geoffroy : Mais manger, éviter… fin, c’est difficile. Facile à dire, mais difficile à faire. C’est essayer d’avoir une nourriture un petit peu plus saine. Éviter trop les sucres rapides, ce genre de choses et essayer de bouger un peu plus. Donc, c’est facile à dire, mais des fois, on n’a pas envie. On est bien dans son canapé et on n’a pas envie de se lever. Je comprends parfaitement ça. Mais, ça ne peut apporter que des effets bénéfiques pour la longévité en bonne santé. Même pour les personnes âgées qui ont envie de se mettre à bouger, qui n’ont jamais bougé avant, ça a un effet bénéfique. Donc ça, c’est intéressant. Après, tu avais un autre ?

Caroline : Sur la performance.

Geoffroy : La performance. Comment améliorer sa performance ? Ça, je pense que ça dépend de chacun. On a tous différentes façons. Moi je me suis fractionné en côte, avant, je n’en faisais pas, mon cardio à exploser maintenant. D’autres personnes, elles vont avoir donc… peut-être à l’écoute de son corps. Je dirais c’est quand on fait un effort, essayer de comprendre si aujourd’hui on se sent bien et essayer d’avoir une phase d’introspection en se disant « si je me sens bien, qu’est-ce que j’ai mangé avant ? Est-ce que j’ai bien dormi ? » ; Et le faire, vérifier ça sur les semaines qui suivent en se disant « Bah voilà, quand je me couche plus tôt, j’ai de meilleures performances. » ; parce qu’on sait que la durée de sommeil, notamment quand on se couche avant minuit, parce que du coup, on étend la plage de sommeil, ça a un effet sur le corps et qu’on est meilleur, on est plus réceptif, on est plus dynamique, etc.

Caroline : Merci beaucoup

Geoffroy : avec plaisir.