Transcription - Episode 2

Transcription

Sylvain Griot - La vie pieds nus : se reconnecter à soi et à l’environnement - #2

Le minimalisme : le style de vie qui consiste à marcher pieds nus

La découverte du minimalisme par l’histoire de Sylvain

Marcher pieds nus, courir pieds nus et utiliser des chaussures minimalistes

Qu’est-ce que le minimalisme ?

C'est remettre en question le port quotidien de la chaussure et réfléchir à toutes les implications que cela peut avoir dans la vie. Et donc, petit à petit, commencer à marcher réellement pieds nus. C'est une grande remise en question. C'est commencer à explorer autour de chez soi, sans chaussures et aussi avec des chaussures beaucoup plus simples.

Comment as-tu connu le minimalisme ?

Tout commence par la course à pied. A 25 ans, je décide de me mettre au semi-marathon. Pendant trois ans, je fais des semi-marathons avec des chaussures tout à fait conventionnelles, celles qu'on trouve à Décathlon. Et pendant trois ans, je me fais très mal au genou. Je me fais très mal à la cheville droite également et je cherche des solutions à mes problèmes. Je lis beaucoup de livres qui ne sont pas très intéressants jusqu'à ce que je tombe sur l'ouvrage d'un Américain, Ken Bob Saxton. Il a couru 80 marathons sans chaussures et qui a passé sa vie à expliquer aux gens autour de lui tous les bienfaits de la course sans chaussures. Donc, c'est un ouvrage qui, au début, me semble un peu farfelu. Je mets du temps. Je me dis pourquoi courir pieds nus ?Ça m'a l'air fantaisiste. J'ai du mal à y croire, mais c'est un bouquin qu’on m’a recommandé. Du coup, je fais l'effort de lire et petit à petit, je deviens vraiment convaincu par le propos de Ken Bob Sexton et au bout de trois mois, je me lance. J’étais très réticent, mais l'argument est tellement convaincant que je finis par me lancer. Je fais quelques exercices pieds nus en bas de chez moi et six mois plus tard, je cours mon premier semi-marathon sans chaussures. Et il se trouve que c'est le premier semi-marathon que je cours sans douleur au genou, sans douleur au genou aussi. Et en plus de ça, c'est le semi-marathon le plus rapide de ma vie puisque en chaussures, j'étais encore à 1h42 et en 6 mois d'entraînement pieds nus, je fais un semi-marathon en 1h26, ce qui était inimaginable pour moi à une autre époque. Donc, à partir de ce jour-là, je deviens extrêmement convaincu des bienfaits de la pratique pieds nus, que ce soit pour la course à pied ou pour la marche. Et petit à petit, j'en parle de plus en plus autour de moi. Ça provoque beaucoup de questions. Et je deviens très bavard sur le sujet. J'ai commencé de 2014 à 2018 : j'ai écrit mon blog sur la question. J'ai réfléchi. Pourquoi on s'est mis à mettre des chaussures tout le temps partout si c'est finalement pas si bénéfique pour le corps ? Donc, je deviens vraiment passionné par le sujet.

Les bénéfices de la marche pieds nus prouvés par la science

Caroline : Est-ce qu’il y  a eu des études de faites sur le minimalisme pour expliquer le phénomène ?

Oui il y a des études qui sont faites. Il y a un chercheur que j'aime beaucoup, c'est Steven Robins dans les années 80 qui s'est vraiment penché sur la question de la chaussure et du pied nu. Par exemple, il y a une étude de 89 que j'aime beaucoup, qui s'intéresse à tous les mécanorécepteurs qu'on a dans les pieds. Le pied est un organe extrêmement sensible. Il est fait pour sentir le monde de la même manière que lla main. Et c'est vrai qu'on n'est pas éduqué à cette idée. Quand on parle des cinq sens, on parle toujours du toucher avec la main. On sait que la main est faite pour sentir le monde, mais il se trouve que le pied est chargé de mécanorécepteurs, de différents mécanorécepteurs. On a plusieurs manières de sentir le monde. On peut être sensible à la pression, on peut être sensible au frottement, on peut être sensible aux températures. Et tout ça, c'est des mécanorécepteurs différents les uns des autres. Donc, Steven Robins l'explique très bien dans son étude et ensuite, ce qu'il fait, c'est qu'il va en Afrique et il se rend compte que les coureurs africains qui courent régulièrement pleins pieds nus, ont beaucoup moins de blessures aux jambes que les coureurs modernes occidentaux, européens, qui eux, courent avec de grosses chaussures et. Et il fait la relation entre cette sensibilité du pied et cette faculté à corriger sa technique grâce à la sensibilité du pied et cette incapacité du coureur ou du marcheur constamment chaussé à corriger, à affiner son mouvement.

Caroline : Voilà donc, en gros, si je comprends bien : à partir du moment où tu cours pieds nus, il y a les mécanorécepteurs et ça agit sur notre façon de percevoir notre environnement extérieur, mais aussi ça nous aide à corriger notre posture et donc à mieux courir. C'est ça?

Exactement. C’est un mécanisme en deux temps. C'est premièrement sentir ce qu'on fait, sentir le monde et sentir son propre mouvement en fait, pour ensuite l'ajuster. Pour donner un exemple, peut-être plus parlant. Si je marche avec brutalité sur un sol qui est dur et rugueux et que je marche pieds nus, mes pieds très rapidement vont crier de douleur en me disant le sol est dur, le sol est rugueux.

Et frotter le sol, ça fait mal. Et cette douleur, en fait, c'est le signal d'alarme. Et c'est ce qui nous dit quand on a été brutal et qu'il faut absolument corriger notre manière de faire. Sinon, la douleur qu'on a dans les pieds va se transmettre petit à petit, aux genoux, aux hanches, aux chevilles, au dos. Et donc le grand problème des gens qui sont constamment chaussés, c'est qu'ils n'ont jamais eu cette expérience sensorielle. Cette expérience sensible du corps, de leur mouvement. Et donc, à aucun moment, ils ne peuvent affiner. Ils peuvent travailler la précision de leurs mouvements, ce qui fait qu'en fait, aujourd'hui, on observe beaucoup de brutalité dans le mouvement quotidien des gens parce qu’il n'y a jamais cette exploration, vraiment par la sensibilité du pied.

Les problématiques des coureurs modernes

Caroline : Est ce que tu peux me donner un élément technique de démarche brutale ?

Alors, moi, je me suis vraiment intéressé à la course à pied, mais en fait, on peut tirer des conclusions assez similaires avec la marche. Le grand problème des coureurs que j'appelle trop modernes, c'est des coureurs qui ont passé trop de temps dans leurs chaussures et qui n'ont jamais exploré la facette sensorielle de la course à pied. C'est vraiment une jambe droite, un genou qui n'est jamais fléchi. Si on observe toutes les populations régulièrement déchaussées, en fait, on se rend compte qu'elles utilisent beaucoup plus leur genou. Le genou est beaucoup plus fléchi à chaque pas, que ce soit pendant la marche ou pendant la course. Et on va observer chez beaucoup de coureurs amateurs  (les coureurs professionnels sont tous très bons. S'ils sont devenus professionnels, c'est sûrement parce qu'ils avaient une bonne technique). Mais si on regarde le gros du marathon, la masse des marathoniens. En fait, on observe chez la grande majorité cette grande erreur qui est de courir avec une jambe toute droite et tendue en avant, trop loin devant le coureur. Ça s'explique vraiment par une absence de sensations dans le pied. Quelqu'un qui court pieds nus sur un sol dur et rugueux ne pourrait pas tenir cinq minutes avec une technique aussi brutale. Et donc, moi, ce que j'ai appris à faire quand j'ai changé radicalement de technique, grâce aux pieds nus, c'est que j'ai vraiment appris à fléchir mon genou. Ensuite, j'ai aussi appris à faire des pas beaucoup plus rapides. Une personne constamment chaussée, quelqu'un de trop moderne qui jamais ne va pieds nus. On observe qu'il fait des pas beaucoup plus lents.

Caroline : Est-ce que ton corps se réajuste tout seul ou est-ce que toi, tu as fait un effort particulier pour te réajuster ?

En fait, je pense que l'on est très inégaux face à l'intuitivité. On est très inégaux face à la sensation. Cet apprentissage dans un monde plus naturel, il se fait dès l'enfance, dès les premiers pas. Et donc l'enfant, lui, ne va pas passer par la théorie. Il va passer uniquement par l'exploration sensorielle. Il ne va pas se dire. : “il faut que je remette en question ma technique”. Il est tout de suite connecté à ses sensations et il va tout de suite développer une manière de marcher, une manière de courir qui sera précise, qui sera saine, qui sera délicate. Moi, j'ai commencé ce jeu là à 28 ans, je crois. Ça faisait déjà trois ans que je faisais beaucoup de courses à pied. Ça faisait déjà trois ans que j'avais construit des habitudes qui n'étaient pas les bonnes. Le pied nu m'a permis de prendre conscience de cette brutalité, mais c'est vrai que j'ai lu le livre de Ken Bob Sexton, Courir pieds nus, qui explique en détail tous les éléments techniques à mettre en place pour retrouver une bonne technique. Et moi, ça m'a été nécessaire. La sensibilité de mes pieds me disait que je m'y prenais pas bien, mais je ne savais pas trop comment faire pour m'y prendre correctement. Il y a des personnes qui sont beaucoup plus à l'aise avec l’intuitivité, mais j'ai vu des copains courir 3 minutes pieds nus sur une ligne droite de goudron et en trois minutes, ils avaient corrigé leur technique. Ils étaient arrivés à connecter la sensation sur leurs pieds avec une correction de leurs mouvements. Voilà, il y a des gens pour qui c'est très rapide, des gens comme moi qui ont plus de mal et qui ont besoin de beaucoup plus de temps pour se corriger. C’est un apprentissage et on est tous inégaux devant l’apprentissage.

Que prendre en compte lorsqu’on démarre pieds nus ?

Caroline : Si demain, je veux me mettre aux pieds nus, est-ce qu’il y a des choses à savoir ?

Effectivement, il y a beaucoup de choses à prendre en compte du fait qu’on a pour la plupart d'entre nous, on se retrouve avec des pieds atrophiés à l’âge adulte, des pieds qui n’ont aucune expérience du monde extérieur et qui sont atrophiés, ils ne fonctionnent pas très bien,

Caroline : Comment on pourrait décrire ça ?

Il leur manque beaucoup de choses à des pieds modernes. Tout le monde n'a pas des pieds atrophiés. Aujourd'hui, il y a des gens qui ont fait des arts martiaux ou qui ont vécu pieds nus au bord de la plage. Mais moi, par exemple, j'ai grandi en banlieue parisienne avec des chaussures aux pieds pendant toutes mes années de collège, de lycée. Et quand j'étais étudiant, j'étais très fier de ma paire de baskets.

Caroline : Est ce que tu aurais juste un tout petit exemple de pied atrophié ?

Tout à fait. Donc, un pied atrophié, il a plusieurs problèmes. Il aura des muscles peu développés, donc peu de force. Mais il aura également peu de souplesse. Il aura perdu sa capacité à épouser les irrégularités du sol. En fait marcher sur des cailloux, pour la plupart d'entre nous, ça fait mal aux pieds. Il se trouve que ça ne devrait pas l’être. Un pied naturel, un pied qui a grandi dans des conditions naturelles, il est très, très souple. Il est très plastique. En fait, dans un pied, il y a beaucoup d'articulation. Si je ne me trompe pas, il y a 26 os, ça fait beaucoup d'articulation. Et en fait, naturellement, si les tendons, si tous les tissus du pied avaient été utilisés dès l'enfance, on aurait un pied vraiment plastique, vraiment capable de marcher sur les pierres cailloux. Il se retrouve que pour la plupart d'entre nous, on se retrouve avec des pieds très raides, très plats aussi, avec très peu de forme. Un pied naturel, il a une belle voûte plantaire. Il a de beaux coussinets très rebondis sous les têtes métatarsiennes un beau pied. Il est très rembourré.

Moi, aujourd'hui, j'ai des capitons plantaires et ce qu'on appelle des callosités qui sont des protections naturelles. C’est ce qui me permet, quand je marche sur un bout de verre, de ne pas me couper. Donc, on a perdu plusieurs compétences : on a perdu la force, on a perdu la plasticité ou la souplesse, les os en termes de densité osseuse. Aujourd'hui, la plupart des retraités se retrouvent avec des pieds, avec une densité osseuse très, très faible et ce sont des personnes très fragiles.

Caroline : Comment tu sais que tu as perdu en densité osseuse dans tes pieds ?

Je n'ai pas pu le mesurer moi même, mais c'est des études qui montrent ça. La plupart des études que je cite, on les retrouve dans le livre Courir pieds nus que j'ai traduit l'année dernière de Ken Bob Sexton, ce coureur américain dont on parlait en début d'émission. Tout le premier chapitre dresse un peu le tableau le plus complet de ce qu'on sait en terme de recherche sur les méfaits de la chaussure et sur les bienfaits de la pratique pieds nus.

Caroline : Il y a eu beaucoup de recherches aux États-Unis, au Canada : est-ce qu'il y en a un petit peu en France ?

Alors en France, je crois qu'il y a eu en 2010 une étude à l'Université de Valenciennes, si je ne me trompe pas, une étude comparative sur des coureurs pieds nus et des coureurs chaussés. L’étude a conclu que le poids de la chaussure était un frein pour le coureur, que ça limitait les performances. Mais ça ne s'intéressait pas ni au développement du pied, ni à la technique, ni à la sensibilité. Ce que je trouve le plus passionnant dans l'expérience pieds nus, c'est vraiment ce monde sensoriel qui permet de rentrer dans une très, très grande précision de son mouvement. Et ça, ça a été beaucoup plus étudié aux États-Unis, oui.

Quant à la densité osseuse, c'est très simple. Le corps, c'est un peu vrai pour toutes les parties du corps. Le corps, plus on le sollicite et plus il réagit, donc plus il se développe. C'est comme les os. Ce n'est pas à la même vitesse, mais c'est un peu comme les muscles. Plus on va les solliciter, et puis ils vont répondre de manière positive. Donc, si on oublie de solliciter les os du pied tout simplement, ils perdent en densité, ils gagnent en fragilité. Et après, une fois qu'on a 60, 70 ans, ça peut donner lieu à de vrais problèmes. On observe vraiment chez les retraités des pieds très fragiles et c'est un problème qu'on observera pas dans les populations déchaussées. Souvent les populations tribales.

Caroline : Et donc, si jamais on veut s'y mettre maintenant ?

Et donc, comment démarrer ? Comment retrouver une expérience pieds nus quand on a 30 ans et qu'on a des pieds qui ont été abandonnés à l'enfance ? Il faut être très, très méthodique parce que ce n'est pas facile. Donc, les recommandations, mes recommandations, celles de Ken Bob Sexton dans Courir pieds nus, parce que je suis entièrement d'accord avec lui, c’est d’y aller très, très progressivement. On ne va pas demain faire une promenade de 10 km. On n'a pas les capacités de se promener sur une telle distance, mais si on fait deux minutes de marche et que trois fois par semaine, on va utiliser ses pieds, solliciter ses pieds. Ce sera une bonne manière de commencer, d'être régulier, mais de laisser du repos entre chaque sollicitation.

Caroline : C’est-à-dire, par exemple, à la maison ou dehors ?

Alors à la maison, ce sera peut être trop facile. Peut être que tout le monde est déjà habitué à marcher sur des surfaces extrêmement plates, extrêmement lisses. Je pense que ça, c'est un problème pour très peu de monde. On a quand même des pieds qui sont encore capables de faire ça. Donc, ce sera tout de suite dehors. Effectivement, il faut tout de suite aller sur des choses qui sont nouvelles, qui sont stimulantes. Il ne faut pas avoir peur de se frotter à quelque chose d'un peu difficile. Moi, je trouve que le goudron, c'est très bien parce que le goudron, il est souvent rugueux et il n'est pas toujours très lisse. Il y a différentes qualités de goudron, mais il y en a qui ne sont pas très, très lisses. Et ça, c'est bien. C'est vraiment la meilleure manière d'explorer, je trouve. On ne veut pas rester sur des surfaces trop faciles pour pouvoir faire 10 km. C'est beaucoup plus intéressant de jouer cinq minutes seulement sur des surfaces un peu plus exigeantes parce que c'est bel et bien ces surfaces exigeantes qui vont provoquer deux choses :

  • Une rééducation du pied.

Le pied qui va marcher sur des choses pas faciles va commencer à se reconstruire. Et en plus de ça, c'est là où on aura le plus d'informations sensibles. Parce que ce qui nous intéresse vraiment, en tout cas moi, ce que je trouve le plus passionnant dans l'exploration pieds nus, c'est vraiment la remise en question de son mouvement. Et donc, cette remise en question, elle sera beaucoup plus forte sur des terrains qui ne sont pas faciles, donc allez se frotter un peu à des choses pas faciles, comme un peu des cailloux.

Caroline : Je peux aller tester ça sur la promenade des Anglais avec les galets.

Exactement. Les galets, c'est bien, c'est des massages en profondeur. Tu vas prendre conscience de beaucoup de zones de ton pied qui n'ont peut-être jamais été stimulées jusqu'ici et aller sur la promenade.

Caroline : Oui, je commence par deux minutes déjà. L'objectif, c'est pas forcément de courir, mais ne serait-ce que commencer à marcher pieds nus, c'est déjà pas mal.

Pieds nus, un bien-être physique et mental

Oui, c'est déjà pas mal. Et je pense que ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'il faut considérer chaque moment pieds nus comme un moment d'exploration. Chaque moment pieds nus va nous mener à des découvertes, va nous mener à de nouvelles sensations. On va peut être arriver à tirer certaines conclusions : “Ah, tel mouvement n'est pas bon parce que tel mouvement me fait mal aux pieds.” C'est aussi une grande découverte de la détente.

Caroline : La détente entendue sous forme d'extension, j'imagine ?

La détente, c’est arriver à détendre le corps entier. Le non stress. Se relâcher. La relaxation totale. J'étais quelqu'un de très tendu, de très crispé dans le corps entier, dans les épaules, dans le cou. Souvent, quand on est crispé, c’est dans ces endroits là que ça se retrouve, mais aussi dans les mollets et également dans les hanches. Et on va rapidement se rendre compte que marcher pieds nus sur des sols un peu difficiles comme des cailloux, c'est directement une invitation à beaucoup plus de détente dans le corps entier jusque dans la mâchoire, dans les yeux. On se rend compte que plus on va être crispé et plus la douleur va être intense dans la plante du pied, et que plus on arrivera à détendre le corps entier, plus l'expérience pieds nus sera facile. Je suis convaincu que le corps moderne est trop cocooné dans trop de confort au quotidien, dans des fauteuils trop confortables, des matelas trop confortables. Petit à petit, c'est une invitation à être de plus en plus crispé et que le manque de sollicitation du corps fait qu'on a des corps de plus en plus tendus et se retrouver face à des conditions plus naturelles, plus difficiles peut être va nous pousser à beaucoup plus de détente dans le corps entier. C'est comme un cours de yoga, mais gratuit.

C'est le grand résumé du livre de  Ken Bob Sexton. C'est les deux points sur lesquels il insiste tout au long du livre.

C'est apprendre à beaucoup plus fléchir le genou. C'est le grand oublié du monde chaussé.

Et aussi apprendre à détendre le corps entier.

Parce que ça s'explique en biomécanique. C'est que dans la plante des pieds, en fait, on a des terminaisons nerveuses. Je crois qu'elles sont 70 000 et ces terminaisons nerveuses ce sont des connexions qui vont dans le corps entier. Donc, la stimulation de la plante du pied va effectivement avoir un effet sur le corps entier. Et c'est pas surprenant de voir dès qu’on va dans les pays asiatiques qu'il y a des salons de massage spécialisés dans les pieds. En France aussi d'ailleurs. L'expérience pieds nus, elle est gratuite, elle est offerte à tous. Après, on peut aussi aller se faire plaisir et s'offrir un massage des pieds, également des grands bénéfices en termes de détente et de bien-être.

Caroline : Je te confirme, j’adore ça.

Oui, et donc mon invitation, c'est vraiment de considérer ça et de se dire qu'en fait, on peut s'offrir la même chose en allant marcher sur des galets. Naturellement, c'est une invitation à vivre son corps de manière plus naturelle et peut être de manière moins moderne, moins contrôlée, moins protégée C'est aussi une réflexion sur l'excès de protection du monde moderne. Moi, ça m'a vraiment ouvert les yeux là dessus. Je me suis rendu compte que j'avais grandi dans un espèce de cocon qui, peut être, n'était pas si bénéfique et  que s'ouvrir aux adversités du monde un peu plus naturel, extérieur, était une vraie invitation à la détente et à une meilleure connaissance de soi-même.

Caroline : Et du coup, pour en venir à si jamais j'ai envie de le mettre en place dans ma pratique, parce que moi, je vais le tester, c'est évident. J'adore déjà être pieds nus à la maison. Maintenant, il va falloir déplacer cette barrière mentale de me dire allez, je sors pieds nus dehors. Accepter le regard des gens aussi, ce n'est pas forcément facile, même si on commence par deux minutes à la plage. Donc ça, ça devrait être facile. Mais une fois que je suis assez à l'aise, en fait, j'augmente juste en terme de temps, le temps que je passe pieds nus ?

Exactement, voilà. En fait, l'élément central de la démarche pieds nus, ça va être la sensation. Petit à petit, tu vas construire ta propre expérience, tu vas prendre conscience de tes limites et c’est elles qui vont te dire si tu es capable d'en faire plus, si tu es capable d'en faire moins. C'est l’élément central de la sensibilité du pied. C'est quelque chose qui n'est pas compris par la majorité des Occidentaux, des gens modernes et donc c'est vraiment cultiver, construire une nouvelle relation avec cette sensibilité du pied. Le pied, parfois, il va arriver qu'on exagère un peu, qu'on lui en demande trop et ça va faire mal. Et peut-être que cette douleur nous dit quelque chose, non, ça, c'était trop. Mais tant que ça ne fait pas mal, ça veut dire qu'on peut aller dans cette direction et quand on a mal, ça veut dire qu'il faut se reposer.

Le problème des chaussures modernes et des chaussures minimalistes

Caroline : Sur cette douleur, plus particulièrement, j'ai fait l'expérience d'avoir des chaussures minimalistes pour notamment faire du sport. Je faisais pas mal de corde à sauter et j'avais très régulièrement mal au tendon d'Achille. Pour moi, c'est quelque chose qui vraiment me fait peur avec la marche pieds nus. Comment ça va se gérer ? Autant marcher dehors, je pense que ça ira très bien, mais si je passais sur de la course à pied pieds nus, j'aurais peur quelque part de blesser mon tendon ou d'avoir mal. En fait, c'est ce qui est certain, c'est que je vais avoir mal dans un premier temps.

Oui alors, on aborde deux points qui me semblent très importants. Le premier, c'est l'atrophie de toute la zone des tendons d'Achille et des mollets. Donc la plupart d'entre nous, on a grandi avec des chaussures. Il se trouve que toutes les chaussures sont un peu surélevées au niveau du talon, il y en a qui sont très, très surélevées (les talons aiguilles) mais même une paire de baskets du supermarché. Le talon sera toujours plus haut que l'avant du pied, ce qui fait qu'on se retrouve tous, et j’insiste, on se retrouve tous avec des mollets atrophiés. Je parlais du pied atrophié tout à l'heure, mais en fait, on a tous aussi la zone des mollets et des tendons d'Achille légèrement trop courte. Il y a tout un travail de rééducation à ce niveau là également. Cette rééducation, elle peut se faire toute seule si on respecte la progressivité dont on a parlé tout à l'heure d'aller courir d'abord deux minutes ou marcher deux minutes, trois minutes, cinq minutes. Notre limite naturelle, elle va d'abord se faire dans la plante des pieds. On va d'abord avoir mal au pied. C'est donc cette douleur sous les pieds qui va nous dire stop, ça suffit pour aujourd'hui. Et bien souvent, c'est un mécanisme de protection du reste du corps et on n'aura pas eu le temps de sur-solliciter le tendon d'Achille ou les mollets. Voilà donc si on respecte cette grande progressivité, on va arriver à rééduquer les mollets et les tendons d'Achille en même temps que l'on rééduque les pieds. Mais par contre, tout à l'heure, tu parlais d'un élément intéressant, c'est la corde à sauter avec des chaussures minimalistes. Et donc ça, c'est vraiment aussi un point sur lequel j'aime insister. Je prends beaucoup de plaisir à insister là-dessus. Les minimalistes, c'est très, très bien, mais elles ont un grand problème.

Caroline : On va peut-être définir ce que c’est une chaussure minimaliste ?

Les chaussures minimalistes, on en a beaucoup parlé à partir de 2010 avec la sortie de Born to Run, il y a eu la mode des vibram five fingers, les chaussons avec des petits pochons pour chaque orteil. Et ensuite, il y a eu plein d'autres modèles qui sont sortis. Il y a beaucoup de marques qui se sont mis à la chaussure minimaliste. En fait, il n'y a pas une définition précise de la chaussure minimaliste, mais en gros, c'est revenir à des chaussures les plus simples possible, avec les semelles les plus fines possible, avec le plus d'espace pour le pied et donc sans talon surélevé, sans soutien de la voûte plantaire. Sans toute la technologie qui nous a été vendue par les chaussures conventionnelles de Décathlon depuis qu'on est gamin. Donc, l'idée est très bonne. L'idée de la chaussure minimaliste, c'est de dire il faut laisser aux pieds le plus de liberté possible pour qu'il puisse fonctionner correctement. Et donc ça, c'est très bien. Les meilleures chaussures sont les chaussures minimalistes en termes de biomécanique, il n'y a aucun doute là-dessus. Mais il y a un grand mais : Born to Run en 2010 dit les chaussures minimalistes, c'est génial. Le bouquin fait un carton sur toute la planète et tout le monde se met à acheter des chaussures minimalistes sans comprendre un point central, sans comprendre le grand mais : c'est que la chaussure minimaliste nous coupe encore de la sensibilité du pied. Je peux mettre des chaussures minimalistes, aller courir sur du goudron ou sur des cailloux et n'avoir aucun retour sensoriel de la plante du pied. Donc, je peux continuer à courir avec une technique qui n'est ni fine, ni précise, ni délicate. La chaussure minimaliste ne me donnera aucune information sur la qualité de ma technique. Donc je peux courir avec une technique qui est très mauvaise et je peux très rapidement me détruire les pieds. Il y a eu énormément de fractures des métatarsiens ou je peux aller courir 10 km avec un tendon d'Achille qui n'est plus soutenu et donc faire mes 10 km, ce qui est beaucoup trop et donc exploser le tendon d'Achille. C'est ce qui m'est arrivé à moi aussi.

Caroline : Du coup, quel est l'intérêt au final de ces chaussures minimalistes?

Oui, donc, ces chaussures minimalistes, vraiment, c'est les meilleures chaussures qui puissent exister en termes de biomécanique. Mais elles ne nous permettent pas d'explorer toute la dimension sensorielle de la marche ou de la course à pied. Donc, la grande conclusion de courir pieds nus de Ken Bob Sexton, et elle est vraiment pertinente, c'est que ces chaussures là, elles sont utiles une fois qu'on a déjà rééduqué nos pieds et nos mollets, et une fois qu'on a déjà construit une technique fine, précise, délicate, naturelle. Donc, pour moi, le grand conseil à donner, c'est avant d'investir dans la paire de chaussures minimalistes, puisqu'on est des adultes avec des corps atrophiés, des corps qui n'ont pas grandi dans un environnement naturel, il faut d'abord une phase de rééducation qui peut prendre plusieurs mois. Et cette phase de rééducation, elle passe par une exploration du pied nu. Il faut aller affronter les conditions extérieures. Aller marcher sur des cailloux, aller marcher sur l'herbe, sur du goudron, donc reconstruire le pied, reconstruire les tendons d'Achille et reconstruire les mollets et surtout, reconstruire sa technique grâce à cette dimension sensorielle et au bout de quelques mois d'exploration, pour la plupart d'entre nous, on sera arrivé à de grandes conclusions. On aura déconstruit les mauvaises habitudes, on aura reconstruit de nouvelles habitudes, on aura pris conscience de toute la précision nécessaire à un mouvement sain. Une fois qu'on a reconstruit toutes ces compétences et qu'on a reconstruit le corps, si on a envie d'aller mettre des chaussures pour aller courir des distances plus longues ou si on a envie de mettre des chaussures pour se protéger du bout de verre qui nous fait encore peur, etc. : les meilleures chaussures sont les minimalistes, mais j'insiste encore une fois avec un corps adulte moderne, peu fonctionnel, un peu atrophié de part un port de la chaussure depuis notre enfance. Il y a aussi la chaise qui est beaucoup responsable de nos limites en tant qu'adulte moderne. Il y a beaucoup de choses, beaucoup de rééducation et beaucoup de mauvaises habitudes à perdre avant de chausser des minimalistes. Pour moi, c’est la grande conclusion

Caroline : OK, donc je ne peux pas le faire à l'envers ? Comment tu arrives à déterminer que ta phase de rééducation est finie?

C'est une histoire de curseur bien évidemment. A aucun moment, on aura terminé la transition. Et déjà, premier point, il faudra continuellement travailler le pied nu pour ne jamais perdre cette connexion, pour ne jamais perdre ce contrôle sensoriel. Je vais donner l'exemple de quelques grands champions de course à pied. J'aime beaucoup Scott Jurek, par exemple, c’est un champion d'ultra distance américain qui court donc des distances folles toutes les semaines, je crois qu'il fait 200 km par semaine avec des chaussures. Et il explique bien que toutes les semaines, il court un, deux ou trois kilomètres pieds nus pour ne jamais perdre la qualité de son mouvement grâce à l'expérience sensorielle. Donc, déjà, la transition, elle est jamais terminée. Ça, c'est un point que j'aime beaucoup. C'est qu'il faudra continuellement s'assurer de contrôler son mouvement grâce à la sensibilité du pied. Le deuxième point, c'est effectivement comment savoir à quel moment on peut chausser des minimalistes. Je pense que c'est à chacun de prendre ses responsabilités, à chacun de prendre le temps d'observer tous les changements qui se mettent en place dès qu'on sollicite les pieds nus.

Caroline : Est ce que tu as des exemples vraiment concrets ?

Moi, je vais déjà donner mon expérience. J'ai commencé, j'avais 28 ans. Vraiment, j'ai grandi en banlieue parisienne. Jamais je n’avais utilisé mes pieds, donc je partais avec les pieds les plus atrophiés qu’on puisse imaginer. J'ai commencé à courir 500 mètres ou un kilomètre sur une bande de goudron en bas de chez moi. J'étais limité : au bout de trois minutes, j'avais des ampoules sous les pieds et dès que je faisais cinq ou dix minutes, j'avais les pieds qui chauffaient énormément. Donc, ça voulait dire deux choses. Ça voulait dire que mes pieds physiquement n'étaient pas prêts à ça et en plus de ça, que ma technique n'était pas bonne. Au bout de six mois, je courais mon premier semi-marathon : 21 km sur du goudron. Il m'a fallu six mois pour en arriver là et au bout d'un an, c'était un semi-marathon qui m'a fait mal au pied. Je n'étais pas prêt. Mais un an plus tard, je courais un deuxième semi-marathon pieds nus. Et celui-là, il se passait très, très bien. Donc moi, je dirais qu'en une année, j'avais fait le gros du travail. Aujourd'hui, mes pieds continuent à se développer. Ça fait dix ans maintenant que je joue à ce petit jeu et je vois qu'il y a des transformations qui continuent d'apparaître. Mais la première année est l'année la plus décisive.

Caroline : Et tout à l'heure, tu parlais qu’au bout de quelques mois, on va arriver à cette phase de rééducation, on aura rééduqué notre pied, on va reconstruire le pied et tu as dit on va pouvoir en tirer plusieurs conclusions. Ces conclusions, c'est quoi que tu appelles ces conclusions?

Elles sont nombreuses. C'est pas toujours facile de mettre des mots dessus. Des fois, c'est du ressenti, un peu abstrait. Il y en a qui aiment passer par la théorie, mettre des mots dessus. Une des grandes conclusions, c'est qu'il faut vraiment être attentif à soi. Quand on fait du sport, quand on fait de la marche à pied ou de la course à pied ou tous les autres sports, on reste concentré sur ce qu'on fait. On reste concentré sur sa sensation et donc à sa technique, à son mouvement. Moi, par exemple, j'ai appris à courir et à marcher, toujours en étant présent à mes sensations. Mais ça veut dire, par exemple, que j'ai aussi appris à ne plus écouter de musique quand je cours. Mes oreilles également : elles sont un indicateur de la qualité de ma technique. Quand je tape du pied, ça peut faire beaucoup de bruit ou quand je frotte le pied avec mes baskets ou avec mon pied nu, ça peut faire beaucoup de bruit. Et si je suis en train d'écouter de la musique avec des écouteurs, je n'ai plus conscience de ce bruit que je ne suis plus dans une exploration de cette dimension sensorielle. Et donc, encore une fois, je me permet d'être brutal, je me permet de ne pas être précis. Donc, une des grandes conclusions à laquelle je suis arrivé en pratiquant le pied nu, c'est qu'en fait, il faut rester alerte, il faut rester attentif à beaucoup de choses et donc il y a mille manières d'être alerte et attentif à soi et au monde extérieur, et il y a beaucoup d'éléments modernes qui nous empêchent d'être attentif à soi et au monde extérieur. C'est une des grandes conclusions. Après, il y a tous les éléments techniques. Je parlais du genou fléchi. L'importance du genou fléchi en course à pied, c'est très, très important et la plupart des coureurs occidentaux, modernes, amateurs, oublient de fléchir le genou quand ils posent le pied au sol. Au lieu de poser le pied au sol, en fait, ils attaquent le sol de tout leur poids parce qu'il n'utilisent pas leurs amortisseurs naturels. Mais pour ne pas parler uniquement de la course à pied, on peut aussi parler de la randonnée. Il y a beaucoup de randonneurs quand ils vont sur des gros dénivelés qui se font très, très mal au genou, dans les longues descentes. Ça, c'est vraiment un grand classique. C'est pour ça qu'on voit de plus en plus de randonneurs avec des bâtons, ce qui n'est pas une mauvaise idée. Mais avec les bâtons, ils ne sont pas à la racine de leur problème. En fait, encore une fois, la racine du mal dans la randonnée, dans les longues descentes de randonnée, c'est encore une fois parce qu'il oublient de fléchir le genou. Et dans les descentes, ils arrivent de tout leur poids sur une jambe raide, tendue devant eux. Et c'est là où ils se font très, très mal.

Caroline : Et le simple fait de marcher pieds nus et de commencer à s'habituer à être pieds nus : on va automatiquement avoir le genou qui se fléchit plus facilement ?

Alors automatiquement, non. C'est ce qu'on disait tout à l'heure. On n'est pas tous égaux face à la correction d'une de nos habitudes. Mais en tout cas, si on est pieds nus dans une grosse descente de montagne, automatiquement, on va se faire très mal au pied avec une mauvaise technique.

Caroline : C’est très intuitif, on va dire.

En tout cas, la douleur, elle sera obligatoirement au bout de cinq minutes avec une mauvaise technique, dans une grosse descente de montagne : on aura très mal aux pieds.

Caroline : Et tu fais des randonnées pieds nus, toi ?

Alors oui, maintenant, j'ai la capacité de faire des grosses randonnées pieds nus. Cet été, j'étais dans les Ecrins, donc, avec des journées à 1500 mètres de montée, puis 1500 mètres de descente, sur des terrains assez variés. Je me souviens, cet été, il y avait beaucoup de schiste. C'est pas trop compliqué le schiste parce que ce sont des ardoises qui sont posées à plat. Donc, finalement, ce ne sont pas des cailloux qui viennent piquer les pieds. Mais pour revenir à cette douleur, il y a des gens qui sauront tout de suite réagir à cette douleur et qui vont tout de suite, effectivement se dire qu’il faut plier le genou et ça fera moins mal au pied. La douleur, elle, sera automatique pour tout le monde après la remise en question du mouvement à cause de la douleur, il y a certaines personnes pour qui c'est vraiment naturel. C'est vraiment spontané et intuitif. Il y a d'autres personnes, il faudra peut-être passer par la théorie, les prendre par la main, leur dire voilà, il se trouve que vous oubliez de fléchir le genou et que si vous aviez une technique un peu plus précise au niveau du genou, vous auriez beaucoup moins mal à la plante du pied. C'est pas un discours anti chaussure, le discours minimaliste. Il faut passer par la vérité nue et une fois qu'on a pris conscience de beaucoup de choses. Donc, le genou fléchi, des pas plus rapides, des pas plus courts, beaucoup plus de détente dans tout le corps. Une fois que les bonnes habitudes sont prises, et bien, la chaussure est un outil merveilleux, la chaussure minimaliste est la meilleure des chaussures parce qu’elle permet beaucoup de choses aux pieds que les grosses chaussures ne permettent pas.

Caroline : Et justement, pour en venir sur la chaussure minimaliste. Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas, par exemple, commencer par deux minutes pieds nus dehors, en conditions extérieures, puis augmenter de manière graduelle le temps que je passe pieds nus ? Mais pour peut être aller un tout petit peu plus vite dans cette démarche mettre des chaussures minimalistes en parallèle.

Oui, c'est encore une fois une histoire curseur. Certaines personnes, par exemple, tu parlais tout à l'heure de tes tendons d'Achille. C'est pour moi vraiment la chaussure minimaliste qui a permis de se flinguer les mollets ou les tendons d'Achille parce que le corps n'est pas prêt. Pour beaucoup d'entre nous, le corps est pas prêt et la chaussure minimaliste va nous permettre de faire des grandes distances ou de faire du sport pendant une heure complète, alors que le tendon d'Achille, le mollet ou les métatarsiens, certaines zones du pied ou du bas du corps ne sont pas prêtes pour une heure de sport. Et la chaussure minimaliste nous invite à faire une heure de sport sans progressivité. Donc, le pied nu, c'est une manière de s'assurer qu'on en fait un tout petit peu parce que le pied, lui, rapidement, il va nous dire ça suffit, terminé pour aujourd'hui. Il a besoin de repos. Il y a vraiment cette douleur qui va nécessairement surgir à un moment ou un autre. Et cette douleur, elle est un indicateur très puissant de on est en train d'exagérer : il faut s'arrêter. Donc, pourquoi pas mettre en place une progressivité avec la chaussure minimaliste ? Mais on n'aura pas ce signal douloureux qui nous dit stop. Donc, il y a des personnes qui sont suffisamment sages pour respecter leurs limites, même si elles n'ont pas la douleur plantaire. Il y a des personnes qui sont dans le défi, qui sont dans l'excitation et qui achètent une nouvelle paire de chaussures et qui partent courir 10 km. Et ça, avec la minimaliste, si on n'est pas habitué, on a la certitude que on va s'exploser quelque part. Pourquoi pas intégrer de la minimaliste à sa phase de transition mais c'est prendre un risque parce que c'est courir sans système d'alarme. C'est ma grande conclusion. Mon grand conseil.

Caroline : Oui, j'ai bien saisi, en tout cas déjà développé pieds nus pour retrouver des sensations et ce terme de sensoriel me parle beaucoup. Pourquoi pas après ajouter des minimalistes ? Mais c'est toujours en complément d'une pratique pieds nus pour vraiment retrouver toutes nos capacités.

Et moi, je dirais au début, commencez par du 100 % pieds nus. Alors, je ne sais pas, pour certains, ce sera une semaine, pour d’autres, ce sera un mois, etc. Et effectivement après intégrer de la minimaliste. Et pour à terme, pour ceux qui veulent l'idéal, c'est faire 95 % minimaliste. Mais comme le conseille Scott Jurek, il y a Mo Farah. Il y a beaucoup d'entraîneurs dans le livre Courir pieds nus. On voit beaucoup de professionnels américains qui donnent ce conseil là de toujours conserver ne serait-ce qu'1%, 5% de pieds nus pour ne jamais perdre l'exploration sensorielle. Je reviens à ce qui s'est passé après Born to Run, un succès mondial sur la course à pied et sur la chaussure minimaliste. Des milliers d'Américains achètent des vibram five fingers. Des milliers d'Américains se cassent les pieds (beaucoup de fractures des métatarsiens). Puis des milliers d'Américains s'organisent avec un avocat et font un procès à Vibram en leur disant : “vous nous avez promis des chaussures qui nous permettraient de mieux courir. On s'est tous cassé les pieds à cause de vous” et je crois que chaque acheteur de Vibram aux Etats-Unis s'est fait verser une centaine de dollars, ce qui fait une facture énorme au final pour Vibram.

Caroline : C'est très Américain dans la démarche.

C’est très Américain, mais ça montre vraiment le danger de la minimaliste, vraiment c’est un mécanisme qu'on a observé chez des milliers de personnes. Des gens très, très excités à l'idée d'une paire de chaussures qui serait plus respectueuse du corps humain, de la biomécanique, et qui dans les semaines qui suivent leur achat compulsifs, se détruisent les métatarsiens. Donc vraiment, le danger existe. Je ne suis pas en train d'exagérer quelque chose qui serait à minimiser. Non, non, c'est la plupart d'entre nous, on a des corps modernes à l'âge adulte à cause d'un environnement mécanique, à cause de la chaussure, à cause de la chaise. On a des corps qui sont limités dans leur mobilité et on a des habitudes qui ne sont pas forcément très fines, qui sont souvent brutales et passer à des outils qui sont moins protecteurs. Donc, on est habitué à la chaussure très protectrice. On achète une paire de minimalistes : on a beaucoup moins de protections que d'habitude. Pour autant, le corps, lui, n'est pas prêt à cette absence de protection et la meilleure manière de reconstruire de la précision et une mobilité du corps, c'est de passer par la sensation crue et donc le pied nu. Et le pied nu passe sur des surfaces trop faciles, comme le sol de la maison, mais sur des surfaces plus variées, plus difficiles, plus intéressantes aussi, donc, dans le monde naturel, le monde extérieur. Vraiment.

Caroline : Non, mais c'est super clair. Je savais que les chaussures minimalistes, il fallait quand même y aller progressivement. Mais je ne me serais pas dit, par exemple, pour reprendre mon exemple de corde à sauter, je me serais pas dit il faut que je commence pieds nus, ma corde à sauter.

Mais ça m'étonne pas parce que moi, ça fait dix ans que je parle de ce sujet là, un peu partout où je vais, et je suis passé par le même raisonnement. Au début, je me suis dit “Ah oui, c'est bien, mais j'ai pas envie d'aller pieds nus” comme les minimalistes ont l'air parfaits. Moi même, j'ai eu ce raisonnement qu'il a fallu déconstruire et mon expérience personnelle a fait que je me suis cassé les métatarsiens et j'ai compris rapidement les bienfaits du vrai pieds nus. Et depuis dix ans, je rencontre des gens qui pensent de cette manière et je prends bien soin de leur expliquer les choses à l'envers parce que ça me semble salutaire.

Caroline : Ça fait sens. Écoute, je pense qu'on a fait un bon tour sur les chaussures minimalistes mais aussi sur le minimalisme de manière générale. Et puis courir pieds nus. Merci beaucoup, Sylvain, pour ton éclairage et puis toutes tes ressources. Ça va me permettre, à titre personnel, d'aller creuser un peu plus loin. Ressources que je laisserai à disposition. Merci. Et puis, je te souhaite une bonne journée.

Merci beaucoup. Bonne journée à toi également.